Actualité des sociétés
Epargne salariale : une massification en trompe-l’œil ?
- Vendredi 14 février 2025 - 09:57
- | Par Jonathan Blondelet
Les dispositifs de partage de la valeur sont désormais obligatoires pour les petites entreprises. Un potentiel tournant pour leur démocratisation, mais avec un impact encore incertain faute de sanction en cas d’inapplication. Etat des lieux d’un changement en demi-teinte.
L’épargne salariale se prépare à passer à la vitesse supérieure. La loi Partage de la valeur abaisse le seuil du nombre de salariés à partir duquel doit obligatoirement être mis en place un dispositif de partage de la valeur : depuis le 1er janvier 2025, les entreprises de 11 à 49 salariés qui réalisent un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1% du chiffre d’affaires pendant trois exercices consécutifs sont également concernées.
Deux entreprises sur trois impliquées
Actuellement, 407 000 entreprises proposent à leurs salariés un plan d’épargne salariale ou retraite, pour 198 M€ d’encours et 15,2 Md€ de versements en 2024. Difficile d’évaluer le réel pouvoir démultiplicateur de la loi Partage de la Valeur, d’autant que l’absence de mise en place d’un dispositif n’entraînera pas de sanction, laissant songeur sur son réel caractère obligatoire. D’après un sondage réalisé par l’Ifop pour Natixis Interépargne (1), seules 65 % des entreprises nouvellement concernées envisagent de mettre en place un dispositif de partage de la valeur.
« L’obligation existe depuis longtemps pour les entreprises de plus de 50 salariés mais aujourd’hui, si 100 % des entreprises du CAC 40 sont équipées, ce n’est le cas que de 70 % des ETI et de la moitié des PME de plus de 50 salariés, relate Damien Cléris, directeur général de Natixis Interépargne. Nous sommes actuellement dans une phase d’expérimentation qui doit donner lieu à un rapport à terme, et la pression se fait par la compétitivité dans le marché de l’emploi plutôt que par des contrôles massifs ».
Salariés moins captifs
Du côté des épargnants, les nouveaux cas de déblocage anticipés prévus par la loi - pour les proches-aidants, en cas de rénovation énergétique de la résidence principale ou d’achat d’un véhicule propre (voiture ou vélo) - pourraient faire office d’incitateur. Leur principal frein est en effet la période de blocage au sein du plan : 72 % d’entre eux estiment que les nouveaux cas de déblocage les encourageraient à investir. La loi prévoit également la possibilité de verser la prime de partage de la valeur aux plans d’épargne salariale et retraite, sachant que le versement peut être abondé par l’employeur.
Et si la « prime Macron » ne bénéficie en principe plus des exonérations de cotisations et contributions sociales depuis début 2024, les entreprises de moins de 50 salariés en gardent le bénéfice jusqu’à fin 2026. Cette option est privilégiée par 65 % des entreprises sondées sur les autres autorisées par la loi, à savoir l’intéressement, la participation ou l’abondement d’un plan d’épargne salariale ou retraite.
Connaissances financières faibles
Toujours selon le sondage réalisé pour Natixis Interépargne, 78 % des salariés qui bénéficient d’un plan d’épargne d’entreprise l’utilisent et les trois quarts envisageraient d’y verser leur prime de partage de la valeur s’ils en avaient la possibilité. L’intérêt pour l’épargne salariale n’est donc plus à prouver, mais son appropriation, si : seuls 12 % des sondés estiment avoir un bon niveau de connaissance en matière d’investissement, et 23 % d’entre eux réalisent des arbitrages au cours de la vie de leur plan.
« Même s’il a connu un regain d’intérêt en 2024, l’obligataire reste sous-représenté chez les salariés, reflet de la mauvaise compréhension de la classe d’actifs », indique Patrick Behanzin, directeur offre et digital de Natixis Interépargne. D’après les chiffres de l’AFG à fin 2023, 38 % de l’épargne salariale alimentait des fonds d’actionnariat salarié, 20 % des fonds diversifiés, 16 % des fonds actions, 15 % des fonds monétaires et 11 % des fonds obligataires.
Des frais moindres…
Les experts de Natixis Interépargne notent un « intérêt minoritaire » pour les actions mondiales, mais il faut dire que les gérants qui en proposent ne sont pas légion. Le leader de l’épargne salariale lui-même, qui accompagne une entreprise et un épargnant sur quatre, a fait le choix de ne pas en proposer, considérant qu’il se destine à des investisseurs en direct avec une « vraie culture financière », capables de faire des choix « spécifiques et précis ». Il faut également préciser que l’investissement sur des ETF dans le cadre d’un plan d’épargne salariale ne peut se faire en direct mais via des fonds communs de placement d’entreprise (FCPE).
S’il est difficile de sélectionner des fonds passifs, par construction moins gourmands en frais, l’épargne salarial est loin d’être le support le plus chargé pour l’investisseur : une étude de l’AMF (2) réalisée en 2024 indique que les frais courants, frais d’entrée maximaux et frais de sortie maximaux des fonds d’épargne salariale sont en moyenne moins élevés de 50 points de base que ceux des fonds comparables distribués par un canal différent.
… Suivant la taille de l’entreprise
« L’épargne salariale est souvent plus intéressante que les supports souscrits individuellement puisque des tarifs d’entreprise plutôt que de particuliers s’appliquent », fait remarquer Damien Cléris. Cependant les frais, le mode de gestion et le type de part (retail ou institutionnel) sont aussi liés à la taille de l’entreprise. Pour les plus grosses sociétés, des fonds dédiés sont structurés. Pour les plus petites, ce sera le catalogue maison.
Nouveau marché
Les intermédiaires ont donc un boulevard devant eux, aussi bien pour la mise en place d’un plan d’épargne que la formation des salariés. Natixis a mis ses réseaux de distribution en ordre de bataille, 13 100 conseillers ayant été formés en 2024. Des plans sont déployables en moins d’une heure pour s’adapter à l’échelle des entreprises nouvellement concernées par l’obligation et des dispositifs de formation sont prévus pour les salariés ainsi que des webinaires pour présenter les dispositifs.
(1) Sondages réalisés en ligne par questionnaire auto-administré du 2 au 22 août 2024 auprès d’un échantillon de 2 000 personnes, selon la méthode des quotas, et auprès de 402 dirigeants d’entreprises ou directeurs de ressources humaines représentatifs des entreprises françaises de 10 salariés et plus, selon la méthode des quotas raisonnés, par téléphone de 5 août au 6 septembre.
(2) Analyse des frais des fonds de droits français, 31 mai 2024