08122025

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Actualité des sociétés

[Tribune] Fonds de continuation : un développement qui bouscule les repères du private equity

Emilie Buttiaux directrice générale et Romain Gerlinger directeur de linvestissement dArchinvest

Portés par la recherche de liquidité dans un contexte de cessions ralenties et par la volonté de certains gérants de poursuivre la création de valeur au-delà du cycle classique d’investissement, ces véhicules invitent à repenser les usages et les équilibres du secteur.

 

 

 

 

 

Les fonds de continuation permettent à une société de gestion de transférer un ou plusieurs actifs d’un fonds vers un véhicule nouvellement créé, offrant aux investisseurs existants la possibilité de cristalliser leur profit ou de recycler leur exposition. Apparue au début des années 2010, cette pratique s’est aujourd’hui fortement développée : selon Schroders Capital, le volume de transactions liées aux fonds de continuation a connu une croissance annuelle moyenne de 27% depuis 2013, atteignant près de 70Mds$ en 2024 (1).

Les gérants de private equity cherchent aujourd’hui à prolonger la création de valeur de leurs entreprises à fort potentiel (« trophy assets »), en poursuivant les efforts engagés lors de la première opération. Dans un environnement marqué par le ralentissement des sorties traditionnelles (introductions en bourse, cessions industrielles ou ventes à d’autres fonds), les gérants ont trouvé dans les fonds de continuation un instrument de flexibilité, leur permettant de prolonger la détention de certains de leurs meilleurs actifs tout en offrant une liquidité à leurs investisseurs.

La tendance s’accentue en 2025 qui voit les fonds de continuation atteindre de nouveaux sommets. D’après une étude de Jefferies, le volume de transaction des fonds de continuation a progressé de près de 70% au premier semestre 2025 par rapport au premier semestre 2024 pour atteindre un total de 50 Md$ (2). Cette croissance forte et soutenue confirme les évolutions structurelles d’un marché appelé à durer, d’autant que 75% des 50 plus grands gérants de private equity ont déjà eu recours à des fonds de continuation au cours de leur histoire.

Quels enjeux pour le private equity ?

Si les fonds de continuation offrent des solutions de liquidité innovantes, ils soulèvent aussi des questions relatives à la gestion des conflits d’intérêts et, plus largement, à la place qu’ils occuperont dans l’écosystème du private equity. Comme le rappellent Kastiel et Nili dans "The Rise of Private Equity Continuation Funds" (3), le gestionnaire se trouve simultanément vendeur et acheteur : il doit permettre aux investisseurs sortants d’obtenir la meilleure valorisation possible, tout en évitant aux nouveaux entrants de surpayer.

Afin d’encadrer ces situations, les fonds de secondaire et les conseils indépendants jouent désormais un rôle clé en fournissant une validation externe du prix. En parallèle, les équipes de gestion démontrent leur réengagement sur plusieurs années et un alignement d’intérêts fort avec les nouveaux entrants en réinvestissant la quasi-totalité de leur carried interest. Enfin, le fait de permettre aux investisseurs existants de réinvestir dans le véhicule de continuation contribue à aligner les intérêts et à réduire la perception d’une valorisation défavorable.

Comme le souligne Séverin de Mortemart, gérant chez Hayfin Capital, les fonds de continuation ont longtemps été limité à un rôle de solution de liquidité pour les actifs compliqués au sein des portefeuilles. Mais depuis quelques années, ces derniers ont pris un nouveau virage en se concentrant principalement sur les sociétés ayant déjà démontré une trajectoire de performance solide. Ils se sont ainsi imposés comme une véritable quatrième voie de sortie et sont en train de devenir une classe d’actifs à part entière.

Selon lui, les avantages des fonds de continuation sont multiples pour le nouvel investisseur. Ils permettent notamment d’investir dans des actifs matures avec un historique de création de valeur fort tout en bénéficiant d’un risque moindre à l’entrée et d’une courbe en J atténuée. Cependant, ce deal flow reste difficile d’accès et il convient de demeurer sélectif dans ses choix d’investissements. C’est pourquoi, il estime que les acteurs historiques et spécialisés paraissent les mieux placés pour continuer à saisir ces opportunités.

L’essor des fonds de continuation s’inscrit dans un environnement du private equity en pleine mutation, où la gestion active des portefeuilles et la recherche de solutions de liquidité deviennent centrales, consacrant ainsi leur rôle croissant dans l’évolution de la classe d’actifs.

Sources :
(1) « Redefining Private Equity: How Continuation Investments Are Disrupting the Buyout Market » — Schroders Capital (2024)
(2) « H1 2025 Global Secondary Market Review » — Jefferies (2025)
(3) « The Rise of Private Equity Continuation Funds » — Kastiel & Nili (Harvard Law School, draft Nov. 2023)