Fiscalité
Donation avec quasi-usufruit : les précisions du fisc
- Mercredi 2 octobre 2024 - 15:18
- | Par Jean-Denis Errard
L’administration fiscale a apporté, dans son BOFIP du 26 septembre 2024* des éclaircissements sur l’application du nouvel article 774 bis du CGI. Ce dispositif anti-abus restreint désormais la déduction de certaines dettes de restitution lors de la succession de l’usufruitier.
La donation en démembrement d’une somme d’argent est expressément prévue par l’article 587 du code civil. Cette étrange possibilité qui permet de donner une somme d’argent tout en la conservant consiste concrètement à transmettre au donataire un droit de créance égale au montant de la somme donnée. La pratique de quasi-usufruit est peu répandue, pour autant deux contentieux sont venus sur le bureau comité de l’abus de droit fiscal (CADF, séance du 11 mai 2023, affaires n° 2022-15 et 2022-16). La loi de finances pour 2024 a mis un terme à cette pratique jugée très avantageuse fiscalement par l’administration (1).
Selon le nouvel article 774 bis du CGI, applicable aux successions ouvertes à compter du 29 décembre 2023 (donc rétroactivement quelle que soit la date de la donation ou convention de quasi-usufruit), la dette de restitution issue d’un quasi-usufruit constitué par le défunt sur une somme d’argent n’est pas fiscalement déductible de l’actif successoral. Ainsi, cette dette est prise en compte pour calculer sa masse successorale du défunt mais pas déductible pour calculer les droits de succession.
Déductibilité maintenue si…
L’article 774 bis II maintient cependant la déductibilité lorsque cette somme d’argent provient de la vente d’un bien démembré, donc en cas de réemploi. A condition que le nu-propriétaire prouve que l’opération -le transfert de l’usufruit sur le bien vers un quasi-usufruit sur le prix de vente- n’avait pas un but principalement fiscal. Comment savoir si ce transfert est contestable par le fisc ? L’administration précise au Bofip qu’elle ne verrait pas d’abus :
- selon le temps écoulé entre le démembrement de propriété et la cession du bien,
- selon la motivation patrimoniale de la cession du bien (par exemple, l’insuffisance de liquidités nécessaires pour s’acquitter de dépenses d’hébergement de l’usufruitier),
- selon le degré de latitude de l’usufruitier à décider du report de l’usufruit sur le prix de cession.
NB : Les transmissions de la nue-propriété de parts de société suivies de leur cession et de la constitution lors de la cession de l’actif démembré sur tout ou partie du prix de cession d’un quasi-usufruit au profit du donateur ont suscité la contestation de l’administration au titre de l’abus de droit. Cette opération permettant d’éluder l’impôt sur la plus-value. La contestation a échoué malgré le laps de temps très court entre la donation-partage des titres et leur cession et bien que la clause de quasi-usufruit ne soit pas assortie d'une sûreté pour protéger les droits du nu-propriétaire. La donation-partage et la dette de restitution ont été validées (Conseil d’Etat, 10 févr. 2017, n° 387960, de même CE, 31 mars 2017, n° 395550). Cette solution simple reste donc valable !
Le cas spécifique du conjoint
Selon le Bofip, la déduction de la dette de restitution reste possible sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit en exerçant le choix qu’il tenait de la loi en qualité de conjoint survivant (en application de l’ article 757 du code civil) ou d’une disposition entre époux prévue par l’article 1094-1 du code civil mais aussi en exerçant un avantage matrimonial ou un préciput (C. civ., art. 1515) convenu dans le contrat de mariage. L’administration admet aussi la déduction pour le légataire ou donataire à cause de mort de son partenaire lié par un Pacs ou de son concubin.
La déduction est acceptable également lorsque le quasi-usufruit sur le prix n’est pas à l’initiative de l’usufruitier. L’administration cite l’exemple d’une distribution de dividendes prélevés sur les réserves à la suite d’une décision en AG, se conformant ainsi à une décision de la Cour de cassation (2). Il devrait en être de même d’une distribution d’un bénéfice exceptionnel issu du prix de vente d’un immeuble constituant l’actif d’une société (3).
L’assurance vie non ciblée
L’administration apporte une précision importante concernant les clauses bénéficiaires démembrées dans les assurances vie. En effet l’article 774 bis du CGI concerne les dettes de restitution sur une somme d’argent dont le défunt lui-même s’était réservé l’usufruit dans sa donation. Par conséquent, souligne l’administration dans le Bofip, cette non-déductibilité fiscale ne vise pas le bénéficiaire en usufruit du capital acquis lors du décès du souscripteur assuré.
NB : dans une affaire jugée par la cour d'appel de Toulouse « le service des impôts, considérant l'origine conventionnelle et non légale du quasi-usufruit né de l'application d'une clause bénéficiaire démembrée insérée dans un contrat d'assurance-vie, estimait qu'à défaut de toute convention de quasi-usufruit ayant acquis date certaine avant le décès [de l’usufruitier], conformément aux dispositions de l'article 773 du code général des impôts, la créance de restitution détenue par [la nue-propriétaire] ne pouvait être retenue au passif de la succession » (24 octobre 2023, RG n° 21/03501).
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* BOI-ENR-DMTG-10-40-20-20 du 26 septembre 2024.
(1) « Alors que la somme d’argent démembrée n’a été soumise lors de la mutation entre vifs aux droits de donation qu’à raison de la valeur de la nue-propriété, la déduction de l’actif successoral de cette dette pour son montant total en pleine propriété constitue une incohérence qu’il convient de corriger » (Sénat, Exposé des motifs de l’amendement n° I-1868 rectifié bis, 24 nov. 2023).
(2) Dans cette affaire concernant une société civile familiale, la Cour de cassation décide que le bénéficiaire de la distribution de dividendes prélevés sur les réserves est le nu-propriétaire des parts mais que l’usufruitier recevra les sommes en quasi-usufruit à charge pour ses héritiers de les restituer au nu-propriétaire lors de son décès. Ainsi « l'usufruitier se trouve tenu… d'une dette de restitution exigible au terme de l'usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l'actif successoral lorsque l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier » (Cass. com 27 mai 2015, pourvoi n° 14-16.246 ; dans le même sens Cass. civ. 1ère 22 juin 2016, n° 15-19.471).
(3) « Dans le cas où l’assemblée générale décide une telle distribution, le dividende revient, sauf convention contraire entre le nu-propriétaire et l'usufruitier, au premier, le droit de jouissance du second s'exerçant alors sous la forme d'un quasi-usufruit sur la somme ainsi distribuée » (Cass. civ. 3e, 19 septembre 2024, pourvoi n° 22-18.687).
JDE