16042024

Retour

Fiscalité

Abus de droit fiscal : une révolution qui inquiète la profession

La loi de finances pour 2019 a institué une nouvelle forme d’abus de droit à motif « principalement » fiscal. D’ici son entrée en vigueur en 2020, les contribuables et leurs conseils devront naviguer à vue dans les eaux troubles du Code général des impôts !

La loi de finances pour 2019 a institué une nouvelle forme d’abus de droit fiscal, l’abus de droit fiscal à motif principalement fiscal (L. n° 2018-1317, 28 déc. 2018, art. 109).

L’administration fiscale a la possibilité « d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles » (LPF, nouvel art. L. 64 A).

« Faire la donation d’un bien immobilier à ses enfants pourrait, à l’avenir, être considéré comme un abus de droit par l’administration fiscale », a aussitôt réagi Bernard Monassier, président de BM Family Office, dans une chronique intitulée « La donation d’un bien immobilier dans le viseur du fisc ? » sur son blog bmfamilyoffice.blogspot.com. Une analyse à laquelle s’est associé le Cercle des fiscalistes.

Le Doyen Jean Aulagnier a également réagi en interpelant la députée Bénédicte Peyrol, rapporteure sur cette réforme. Celle-ci s’est déclaré très surprise, dans un mail personnel, par cette interprétation. « Je vous avoue être tombée de ma chaise quand j’ai vu les notaires être vent debout contre cet amendement sans aucune prise de recul par rapport à l’objet de lutte contre l’évasion fiscale, sans aucun argumentaire juridique profond, si ce n’est défendre le schéma bien connu de séparation usufruit/nu propriété », commente la parlementaire. 

« En aucun cas je ne visais ce type de schéma. Il me semble que si le contribuable démontre que l’objectif est d’organiser la succession et de simplifier la gestion du patrimoine alors la fiscalité n’est qu’un accessoire », explique-t-elle. 

A notre avis, reste évidemment la façon dont l’administration va interpréter ce texte qui impose au contribuable, comme madame Peyrol l’écrit, de démontrer que l’objectif est d’organiser sa succession plus que de réduire la taxation de celle-ci ! Entre des considérations fiscales, économiques, familiales… on imagine à quel dosage et réglage vont devoir se livrer les notaires, avocats et conseils en gestion de patrimoine pour préciser l’objectif de l’acte dans une clause de déclaration d’intention et pour ainsi éviter que l’administration estime que la motivation est à plus de 50 % fiscale ! Certes le comité d’abus de droit pourra être saisi pour protéger le contribuable mais ce texte suscite une fragilité dans l’efficacité de l’acte et fait porter une responsabilité lourde à son rédacteur.

Le Doyen Aulagnier, fondateur de l’Aurep, vient de demander au sénateur Claude Malhuret d’interpeler le ministre du Budget, Gérarld Darmanin, sur les conséquences de cette nouvelle disposition de l’art. 109 de la Loi de finances. « Quand et comment pourra-t-on savoir qu’un acte est « principalement » motivé par des considérations fiscales ? », demande-t-il.

A tout le moins, et sans attendre l’application de cette disposition aux actes réalisés à compter du 1er janvier 2020, il voudrait confirmation que, comme le pensent de nombreux praticiens (notaires, conseillers en gestion de patrimoine), toute donation contenant une réserve d’usufruit au profit du donateur - réserve qui participe de la réduction de la base taxable - ne constitue nullement un acte principalement motivé par des considérations fiscales.

De même, pour une opération d’apport de la nue-propriété à une société civile constituée par le donateur suivie de la donation de la pleine propriété des parts à ses enfants.

Il convient en outre de se demander si cette réforme, non soumise au contrôle du Conseil constitutionnel ( !), enfreint ou non la Constitution car « cette notion de motif principalement fiscal est une notion à géométrie variable », souligne le professeur Frédéric Douet (il y consacre sa chronique dans le numéro de février de Gestion de Fortune). L’objectif de valeur constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi (Cons. const., 29 déc. 2013, n° 2013-685 DC, § 112).

Il est donc possible, conclut le professeur de fiscalité à l’Université de Rouen, de soutenir que l’abus de droit pour motif principalement fiscal est contraire au principe de légalité des délits dans la mesure où son imprécision expose les contribuables à de lourdes sanctions pécuniaires.

Jean-Denis Errard