Gestion de Fortune n° 337 - Juillet-août 2022
L'Edito de Jean-Denis Errard
Le chat et le rat
On ne peut pas reprocher à Stuart Kirk d’être hypocrite et, comme dans la publicité de Cetelem, de jouer faussement au petit homme vert. Lors d'une conférence organisée par le « Financial Times », le 20 mai, le « chef mondial de l'investissement responsable » – c’est bien son titre – chez HSBC Asset Management, a accusé les banquiers centraux et les responsables politiques de surestimer les risques financiers du changement climatique. Selon le quotidien britannique, cet « expert » réputé qui a tout de même 25 ans de métier dans le secteur financier, se plait à ironiser : « il y avait toujours un cinglé qui [me] parlait de la fin du monde », allant jusqu'à comparer la crise climatique au bug de l'an 2000. Il dit tout haut ce que beaucoup pensent. Malheureusement.
On pouvait croire pourtant qu’il était acquis, dans l’univers de la gestion d’actifs, que la prise en compte de l’impact environnemental est incontournable. Mais non, le cynisme de la finance était juste en embuscade et pour bien des financiers, les Accords de Paris sont une foutaise. Comme l’écrit le poète latin Horace, « naturam expelles furca, tamen usque recurret » (ce qui signifie « chasse le naturel à coup de fourche, il reviendra en courant »). Pour mister Kirk, l’angoisse ce sont les menaces du moment, il n’en a rien à foutre de celles, létales, qui nous attendent : « on me dit de passer mon temps à examiner quelque chose qui va se produire dans 20 ou 30 ans, c'est complètement disproportionné ». Le retour de l’inflation, une crise des matières premières, une récession menaçante aux Etats-Unis et en Europe, des tensions géopolitiques aigues ont vite balayé les intentions de la finance dite responsable. « Les déclarations du directeur de l'investissement responsable de HSBC sont la caricature de ces positions réactionnaires, elles ne sont que la pointe de l'iceberg », commente, dépité, Philippe Zaouati, président de Mirova.
Il est surréaliste d’entendre ce monsieur Kirk affirmer que « le changement climatique n'est pas un risque financier dont nous devons nous inquiéter », et se moquer des « avertissements apocalyptiques non fondés ». Cette déclaration intervient quelques jours après ce – discret – rétropédalage de BlackRock dans sa politique de vote aux AG annuelles. Le plus gros gérant d’actifs au monde – plus de 10 000 Md$ d’encours ! – prévient qu’il va réduire son soutien aux résolutions d’actionnaires proclimat. Le grand discours de Larry Fink en janvier 2001 sur l’enjeu climatique n’était… qu’un discours. Selon un nouveau rapport du New Climate Institute et de Carbon Market Watch sur les 25 grandes entreprises évaluées, 19 comptent toujours sur la compensation pour honorer leurs promesses, d'où la réduction bien plus faible dans le monde réel.
Tout cela me fait penser à cette fable « Le chat et le rat » de La Fontaine. Un chat prisonnier d’un filet supplie un rat de le secourir. Le chat « jure éternelle alliance » au rat s’il détruit les mailles du filet. « Ah ! mon frère, lance le félin libéré, vient m’embrasser ». Le rat n’est pas dupe : « Penses-tu que j’oublie ton naturel ? »