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Les hausses de taux sont dévastatrices
- Mardi 4 avril 2023 - 09:00
- | Par Michel Lemosof
Pour lutter contre l’inflation, la hausse des taux était louable, mais vouée à l’échec. La dette est devenue tellement élevée qu’elle contraint l’action des banques centrales. L’économiste d’Atlantic Financial Group, Bruno Jacquier, analyse la situation dans un nouveau point hebdomadaire.
A toute vapeur
Depuis janvier 2022, les banques centrales tentent de normaliser la situation économique en général et leur politique monétaire en particulier. En accroissant rapidement et fortement leurs taux directeurs, elles cherchent à lutter contre la hausse des prix pour que les anticipations d’inflation restent ancrées autour de 2 %. « Au-delà de la difficulté de relever ce défi, l’inflation n’étant qu’en partie la conséquence d’une surchauffe économique, mais majoritairement le contrecoup d’un choc d’offre, ce processus de hausse des taux est dévastateur », fait observer Bruno Jacquier, économiste chez Atlantic Financial Group. Poursuivre les hausses de taux dans un environnement de crise permet aux banquiers centraux de montrer qu’ils ont toujours comme mission prioritaire d’étouffer l’inflation, qui reste trop élevée pour être « confortable ».
Ils signalent également que la stabilité du système financier ne leur semble pas en danger et qu’ils ne sont en rien responsables des déboires des banques, assureurs et autres fonds d’investissement. « Ils cherchent aussi, ajoute le professionnel, à prendre en compte la psychologie des investisseurs, importante en période de panique. Ne pas augmenter les taux aurait signifié qu’ils étaient réellement inquiets… » Selon Bruno Jacquier, viendra un jour où les dégâts induits par cette politique monétaire seront si grands que les banques centrales n’auront pas d’autre choix que de « revenir en arrière à toute vapeur. » Et de rappeler que les banques centrales poursuivent des objectifs multiples : assurer la stabilité du système financier, contenir l’inflation autour de 2 % et, pour certaines d’entre elles, soutenir l’activité économique (via la croissance de l’emploi).
Or, les ratios de dette sont tels que toute velléité d’accroître les taux d’intérêt fait peser une charge « insoutenable » sur les Etats, les entreprises et les ménages. Les faillites et les défauts de paiement se multiplieront, jusqu’à mettre en difficulté les banques et les compagnies d’assurance. Résultat, avec un système financier en danger, des risques de déflation et une récession, aucun des trois objectifs ne sera atteint !
Casser des pans entiers
« En accroissant le loyer de l’argent de manière importante et rapide, insiste l’économiste d’Atlantic Financial Group, les banques centrales sont en train de casser des pans entiers de l’économie. Pour assainir la situation, elles n’auront pas d’autre choix que d’annuler les décisions qu’elles ont prises au cours des 15 derniers mois et de pivoter en ramenant le plus vite possible les taux directeurs près de zéro. Tant que la dette demeurera aussi élevée, les banques centrales n’auront pas véritablement la possibilité d’accroître les taux. Leurs options de politique monétaire sont contraintes. »
Il est également possible, afin que les taux d’intérêt ne grimpent encore, que les banques centrales soient forcées d’acheter des dettes additionnelles si les gouvernements décident d’accroître leurs déficits. La politique monétaire ne serait donc plus réellement indépendante de la politique budgétaire. Elle serait assujettie à cette dernière. Et Bruno Jacquier de faire un peu d’anthropomorphisme à l’envers : « Le rhino gris – la bulle de la dette mondiale – a grossi depuis 40 ans. Les baleines – les banques centrales – sont en train de remplacer les poissons – les banques commerciales, les assurances, les fonds d’investissement, les investisseurs privés – pour absorber une grande partie des émissions obligataires. »
Pour le professionnel, entre une crise de la dette et une crise monétaire, les banquiers centraux opteront toujours pour la seconde option, car c’est le seul moyen d’éviter un effondrement du système financier. Au vu des fondamentaux économiques actuels, le yuan chinois et le franc suisse s’apprécieront, tandis que le dollar, l’euro, la livre ou le yen se déprécieront. Le seul moyen de se prémunir contre une dévaluation monétaire effectuée simultanément par plusieurs pays serait de détenir des « actifs refuges » : métaux précieux, matières premières agricoles, terres arables…
« Après une phase de correction significative, conclut l’économiste, les autres matières premières, comme l’énergie et les métaux non précieux, mais aussi l’immobilier, les tableaux et autres collections privées seront plébiscités. Une fois que l’orage sera passé, les actions rebondiront et retrouveront leur place en haut du podium des actifs en termes de performance. » Ouf !
ML