Gestion d’actifs
Atlantic Financial Group analyse la crise de la dette
- Vendredi 3 février 2023 - 14:00
- | Par Michel Lemosof
Lorsque les taux d’intérêt augmentent, le risque de défaut de paiement s’accroît. Etats, entreprises et ménages doivent assumer de lourdes charges d’intérêt. Dans sa dernière livraison hebdomadaire, Atlantic Financial Group examine la situation.
Dans « Stratégies & Thématiques », les experts d’Atlantic Financial Group se penchent sur le gouffre de l’endettement. « En l’espace de 40 ans, expliquent-ils, la dette mondiale publique et privée aura doublé. Alors qu’elle représentait 120 % du PIB en 1981, elle pointe désormais à 250 %. Le léger recul perceptible en 2021 ne doit pas être perçu de manière trop optimiste, car il ne vient compenser qu’un tiers de l’envolée constatée en 2020 durant la pandémie du Covid-19. Il est également intéressant de noter que les économies développées ont un ratio d’endettement total de 292 %, contre 130 % pour les pays émergents (hors Chine). »
La charge du rhino gris
Cette flambée de la dette aura été rendue possible grâce à une baisse structurelle des taux d’intérêt. Or, l’an dernier, les taux d’intérêt ont violemment remonté. Du jamais vu depuis la fin des années 70 ! Quiconque voit les taux d’intérêt croître rapidement se soucie du remboursement de sa dette, surtout si celle-ci est importante. La relation qui lie les taux d’intérêt et la dette permet d’évaluer la solvabilité. Chaque prêt (risque) s’assortit d’un rendement (avantage), lui-même lié à la préférence pour le présent et à l’éventualité d’un défaut de paiement (non-remboursement).
« Le rendement et le risque sont les deux faces d’une même pièce, résument les spécialistes d’Atlantic Financial Group. Ils sont liés à fiabilité du débiteur, à ses revenus futurs, à son niveau d’endettement total, mais également au coût de cet endettement. » Les créanciers comprennent aisément que, si les taux d’intérêt augmentent, le risque de défaut de paiement de leurs débiteurs s’accroît. Malgré cela, à lire les scenarii anticipés par les principales banques d’investissement, la capacité de remboursement des emprunteurs ne semble pas vraiment poser de problème.
« Aucune d’entre elles, fait-on remarquer chez Atlantic Financial Group, n’évoque le sujet. Pourtant, les données délivrent un message d’alerte : le risque de solvabilité et, par extension, de liquidité n’a jamais été aussi grand, que ce soit pour les Etats, les entreprises ou les ménages. Les investisseurs ne sont pas confrontés à un cygne noir, mais à un rhino gris. » Le cygne noir popularisé par Nassim Taleb en 2007 désigne un événement extrême dont le coût est très élevé mais la probabilité de survenir très faible. Le rhino gris évoqué par Michele Wucker en 2016 fait également référence à une menace à fort impact, cette fois-ci très prévisible… mais négligée. Le rhino gris ne constitue pas une surprise : il fonce sur les investisseurs après une série d’avertissements dont les conséquences ont été trop peu dommageables pour parvenir à les inquiéter véritablement. Au contraire ! Les investisseurs trouvent des raisons de se rassurer.
Le retour des « zombies »
« Dans la plupart des pays développés, commentent les stratégistes d’Atlantic Financial Group, le déséquilibre entre dépenses et recettes est tellement récurrent qu’il semble être devenu la norme. Quant aux intérêts payés pour la dette passée, ils représentent une charge de plus en plus lourde. Les études académiques stipulent qu’une dette publique ne devrait pas dépasser 60 % du PIB pour être soutenable et 90 % pour éviter un défaut de paiement. La Chine pointe à 84 %, les pays de la zone euro à 92 % en moyenne, les Etats-Unis à 123 % et le Japon à 261 % (mais avec une dette détenue à 90 % par les Japonais eux-mêmes. » Bref, l’optimisme des investisseurs obligataires devrait finir par s’éroder. Les charges d’intérêt n’avaient jusqu’à présent jamais constitué un sujet d’inquiétude, car les taux d’intérêt chutaient plus vite que ne progressait la dette. Maintenant que les taux ont rebondi, les charges d’intérêt vont peser de plus en plus lourd.
« Ce phénomène, soulignent les professionnels d’Atlantic Financial Group, risque d’être amplifié, sachant que les Etats-Unis devront renouveler 40 % de leurs obligations souveraines d’ici à deux ans (contre 24 % pour la zone euro). Actuellement, le Trésor paie un coupon moyen de 1,6 % sur ses engagements obligataires. Les nouveaux prêts auront des taux compris entre 3,5 % et 4,7 %, de deux à trois fois supérieurs. Si rien n’est fait, les charges d’intérêt représenteront bientôt 5 % du PIB, soit 15 % des dépenses de l’Etat, contre 3 % récemment. »
Du côté des entreprises, rien de très réjouissant non plus. Certaines sociétés ne dégagent pas suffisamment de profits pour couvrir les charges d’intérêt de leurs dettes, et encore moins pour rembourser le capital. Elles sont communément appelées « zombies ». Alors qu’elles sont vouées à la faillite, elles parviennent à se maintenir en vie grâce à l’octroi de crédits à taux très faibles. Le nombre d’entreprises « zombies » a significativement augmenté entre 1990 et 2020, passant d’un peu moins de 1,5 % à 6,8 % en 2003, un « sommet transitoire ». Ce pourcentage a ensuite été divisé par 2 entre 2003 et 2007, avant de rebondir pour récemment dépasser 7 %.
La cavalerie américaine
Trois problèmes : les coûts de financement vont se tendre lors de nouvelles émissions de dette, les prêts vont être moins attrayants pour les banques et les investisseurs en crédit (qui préféreront les rendements relativement élevés procurés par des entreprises de bonne qualité), les banques centrales freinent la demande globale (d’où moins de revenus pour les entreprises). « Dans ce contexte, pronostique-t-on chez Atlantic Financial Group, les nombre de zombies va croître, alors même que leur capacité à rester en vie va diminuer. Aux Etats-Unis, le taux de défaut annuel moyen des obligations à haut rendement est d’environ 4 %. Toutefois, en période de fortes tensions, le taux de défaut s’envole, comme ce fut le cas durant la Grande Crise financière de 2008, où il a atteint un pic de 15 %. »
Enfin, s’agissant de la dette des ménages, on frôle également des records. Aux Etats-Unis, par exemple, elle représente 58.000 $ par habitant majeur (plus que lors du précédent sommet de 2008). Elle est de 89 % du revenu disponible des ménages, contre 115 % avant la crise des « subprimes », mais l’inflation est passée par là. En termes « réels », la dette des ménages semble nettement moins soutenable. Dans les prochains mois, si les salaires n’augmentent pas plus vite que l’inflation ni autant que les prêts hypothécaires, la situation pourrait commencer à devenir très préoccupante. En deux ans, les mensualités hypothécaires des Américains endettés à 30 ans ont bondi de 1.600 $ à 2.600 $. Remède : la fuite en avant (cartes de crédit, crédits revolving…).
Selon le Consumer Financial Protection Bureau, l’utilisation du « Buy Now Pay Later » (acheter maintenant, payer plus tard) pour payer les produits de première nécessité (alimentation, essence, services publics…) a fortement augmenté. Lors d’un sondage effectué en octobre 2022, sept Américains sur 10 ont répondu avoir des inquiétudes financières pour les 12 prochains mois. « Leur première inquiétude (31 % des réponses), précisent les experts d’Atlantic Financial Group, est de devoir s’endetter davantage, sachant que 19 % l’ont déjà fait l’an dernier. La deuxième inquiétude (27 % des réponses), est de devoir payer des intérêts plus élevés que leurs dettes. » Les ménages – qui, pour une partie d’entre eux, sont aussi des investisseurs – ont donc bien repérée le rhino gris !
ML