02062025

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Actualité des sociétés

[Tribune] L’utilité de la dette publique

Jean Pierre Rosello

Le débat sur la dette et le déficit public est relancé à l’occasion de la discussion budgétaire pour 2026. Au-delà des prises de position politiques et idéologiques, nous proposons une réévaluation économique de la dette publique. En rappelant la différence substantielle entre dette et déficit et en questionnant les principaux arguments employés à l’appui des politiques d’endettement.

 

 

 

 

 

 

Alors que rien n’a encore filtré sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, la promesse est comme chaque année la même : que ce budget soit celui du retour à l’équilibre des finances publiques. « Ce plan, il va demander un effort à tous les Français le plus juste possible, mais suffisant pour que la France sorte de cette situation », a affirmé le Premier ministre François Bayrou sur BFMTV-RMC.

Pourtant, la dette publique ne peut être considérée seulement comme l’expression d’une mauvaise gestion des deniers publics. Son bénéfice doit s’évaluer dans la durée.

Distinguer clairement le déficit de la dette

Le déficit public résulte d’un déséquilibre dans la gestion courante du budget de l’Etat. Ce dernier dépense au-delà des ressources dont il dispose. Or ces ressources sont pour l’essentiel constituées des impôts et des taxes prélevés sur les revenus des ménages et des entreprises. Ces ressources sont certes votées par la représentation nationale et socialement acceptées, mais elles dépendent d’une contrainte légale.

Elles supposeraient pour le moins, l’exercice d’une rigueur de gestion au moins équivalente au pouvoir de coercition dont elles sont issues. Aussi la création d’un déficit public permanent traduisant l’excès des dépenses sur les recettes courantes constitue de fait la mise en place d’un droit de tirage sur le revenu futur des citoyens mais sans leur consentement. En ce sens, au-delà du principe de l’équilibre comptable, le déficit public pose un problème d’ordre démocratique.

De plus, la présentation actuelle du budget de l’Etat ne permet pas de distinguer clairement et dans leur ensemble, les comptes de fonctionnement de ceux des investissements et ne relie pas les recettes d’investissement à une quelconque constitution préalable d’épargne pour couvrir à minima l’amortissement annuel du capital emprunté.

Et Il serait sans doute nécessaire que l’Etat s’applique à lui-même ces règles d’équilibre et d’épargne, observées scrupuleusement par les collectivités locales et territoriales. Ce qui d’ailleurs n’empêche pas ces dernières, malgré les contraintes financières croissantes que leur impose l’Etat, de maintenir tant bien que mal les services publics de proximité et de représenter en moyenne plus de 70% de l’investissement public.

En dehors des décalages possibles liés à l’incertitude de la prévision annuelle des recettes et des dépenses, le déficit du budget de fonctionnement ne devrait qu’être marginal et conjoncturel…. L’émission des bons du trésor devant servir d’instrument de trésorerie.

L’interrogation légitime que doit susciter le déficit du budget de l’Etat, notamment en France, ne doit pas dénaturer la question de la dette publique. En aucun cas le déficit budgétaire ne peut être considéré comme la cause ou l’explication de la dette publique.

La dette publique n’est pas et ne doit pas être une contrainte consécutive à une mauvaise gestion budgétaire mais doit rester en premier lieu un outil économique.

Le bien-fondé de la dette publique

L’endettement consiste à mobiliser des fonds, au-delà de ses capacités immédiates, pour financer des investissements utiles lorsqu’il s’agit des Etats et des ménages ou rentables lorsqu’il s’agit des entreprises.

Cette mobilisation de fonds, mis à disposition, suppose l’existence et l’accord de prêteurs qui disposent d’une épargne à placer à plus ou moins long terme. En retour l’emprunteur se doit de rembourser des fonds avancés additionnés des intérêts, et selon un échéancier négocié.

Le recours à l’endettement par les États correspond donc à ce moment économique où l’épargne des agents en excédent de ressources est transformée en investissements collectivement utiles.

Exemple d’une actualité brûlante, les États européens vont emprunter pour investir individuellement et collectivement dans le renforcement de leur Défense, c’est-à-dire dans la sécurité de leurs citoyens. Notons au passage que l’on pourrait tout aussi bien utiliser la même démarche pour investir dans la transition écologique de l’économie européenne.

Quoiqu’il en soit ces investissements rendus possible par la mobilisation de l’emprunt contribueront à la relance des secteurs économiques concernés et à l’émergence de nouvelles activités. Ils créeront de la richesse et permettront en retour de nouvelles rentrées fiscales.

L’endettement des États et le bénéfice des investissements qu’ils engendrent ne peuvent donc s’évaluer que dans la durée. La pertinence de l’emprunt public se constatera en retour par l’accroissement progressif d’un service et d’une richesse, à l’instar des investissements privés effectués par les entreprises qui en mesurent les effets rentables toujours à terme.

La question de l’évaluation de la dette publique

Le poids de la dette publique est communément évalué en pourcentage du PIB. Remarquons ici que l’on compare un stock : l’encours de dette ; à un flux : la valeur économique créée dans l’année. Ce qui est statistiquement contestable. Mais plus encore l’établissement de cette relation constitue un contresens économique. En quoi pourraient donc être utiles des emprunts dont on devrait s’acquitter en totalité en une seule et unique année de création nationale de richesses ?

Si un État s’endette, c’est, nous venons de le rappeler, pour accroître ses capacités de financement d’investissements dont les effets ne pourront être constatés qu’à terme.
Notons d’ailleurs que le niveau d’endettement mesuré de cette façon erronée n’a jamais obéré la capacité économique des États : l’Angleterre première puissance économique du XIXe siècle atteignait un encours de dette équivalent à 170% de son PIB, les États Unis en sont à 120 % du PIB en 2024, la Chine selon ses chiffres officiels avoisine les 126 % de PIB, et la France 113 %…. La règle énigmatique qui incite les États européens à limiter leur endettement à 60 % de leur PIB n’a au fond aucune justification économique sinon celle de contraindre leur capacité d’investissement au moment même où la mobilisation de fonds par emprunt devient indispensable.

La mesure économique du poids de l’endettement d’un pays devrait être calculée en nombre d’années, sur sa capacité à se désendetter au regard de la reconduction de son PIB. Cette mesure s’obtient en divisant deux flux, quantités statistiquement comparables : le PIB par le montant annuel de l’amortissement du capital additionné des intérêts en cours. Ainsi en reconduisant son PIB de 2024, la France mettrait environ 5 ans à se désendetter en capital et intérêt ; ce qui est inférieur à la durée moyenne de son endettement.
La durée de la dette publique

Il arrive couramment de déplorer un endettement public qui pèserait sur les générations futures. C’est très mal connaître la durée moyenne des dettes publiques qui est de 6 à 8 ans. Ce qui signifie qu’une seule et même génération connaîtra environ une dizaine de renouvellements de la dette de l’Etat. Ce qui laisse le temps de réduire, si besoin, le poids de l’endettement et d’en faire peser la contrainte sur une même génération.

La technique de renouvellement de l’endettement qui consiste à remplacer des emprunts échus par de nouveaux emprunts, d’utiliser les techniques financières de couverture, ou encore de remplacer des emprunts en cours par des emprunts à taux inférieurs, s’appelle « faire rouler » la dette.

Le terme est malheureux et il nous semble que la formulation de « gestion active » de la dette publique conviendrait mieux… et rendrait compte du travail de l’administration du Trésor qui, dans la période récente, a permis de réduire à 1,64 % le taux moyen d’intérêt s’appliquant à la totalité de la dette.

L’attractivité de la dette publique

Il se dit qu’un endettement public trop important dissuaderait de potentiels investisseurs qui pourraient craindre un risque de défaut. C’est ici méconnaître le fonctionnement du système financier international et le rôle des spécialistes en valeurs du trésor (SVT) qui sont sélectionnés par l’Etat pour négocier puis placer les emprunts publics sur les marchés financiers secondaires. Pour mémoire, en 2020, l’encours mondial de la dette publique s’élève à 99 000 Mds € (ce qui représente la moitié de l’endettement total et ce rapport de parité public/privé reste constant depuis les années 1970).

Les principales puissances économiques - celles du G20 - constituent 90 % de cette dette. Les prêteurs aux États qui investissent sur les emprunts publics, à travers les SVT, sont pour l’essentiel les intermédiaires financiers.

Parmi eux, les banques, les compagnies d’assurances, les fonds d’épargne, les fonds de pension et de retraite sont soumis à une réglementation internationale qui les oblige à la détention d’une grande part, voire de l’essentiel de leurs actifs, en titres publics autrement dit en placements sur emprunts publics. La solvabilité des États, notamment assurée par l’exercice du levier fiscal, leur garantissant la préservation de leurs actifs et la capacité de répondre sur le long terme à leurs adhérents ou à leurs clients.

Ainsi sans la permanence et le volume de l’endettement public : le système bancaire, le système assurantiel, le système des pensions et des retraites risqueraient l’effondrement. On voit mal les investisseurs sur emprunts d’Etat courir à leur propre perte... Notons au passage que ces investisseurs sur titres publics peuvent bénéficier de temps à autre, au détriment des contribuables concernés, d’un taux d’intérêt amélioré grâce à une dégradation ponctuelle de la note attribuée par les agences de notation. On l’aura compris, cette aubaine distribuée par ces auxiliaires des marchés financiers n’indique en rien le risque d’un potentiel défaut de paiement…