15122025

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Actualité des sociétés

[Tribune] Si le bitcoin n’était plus le roi des cryptos

Tangi LeCalvez NEW

Longtemps perçu comme le pilier central de l’écosystème crypto, le bitcoin voit aujourd’hui son rôle questionné. Derrière sa volatilité récente se dessine une évolution plus structurelle : la montée en puissance de protocoles spécialisés, mieux adaptés aux usages concrets des paiements, des smart contracts et de la tokenisation d’actifs.

 

 

 

 

 

 

Le bitcoin est depuis toujours le baromètre de l'écosystème crypto. Sa récente volatilité inquiète et fascine, mais un phénomène plus profond mérite l’attention : l'usage réel des crypto-actifs pourrait se déplacer vers d'autres protocoles, développés pour différents cas d’usage tels que les paiements quotidiens, les smart contracts ou la tokenisation d'actifs financiers.

Les limites structurelles du bitcoin

Le bitcoin n’a pas été conçu pour des paiements fréquents de faibles montants, mais comme une réserve de valeur numérique dont la sécurité prime sur la rapidité. Dans les faits, il est arrivé qu’une transaction prenne plusieurs heures pour être entièrement validée sur le réseau, ou nécessite des frais de transfert significatifs qui rendent illusoires les micro-paiements tels que le règlement de son café en bitcoin.

Pour pallier ces contraintes, certains acteurs recourent à des systèmes de compensation interne, par exemple en agrégeant des microtransactions pendant 24 heures avant de les régler en une seule opération on-chain. Une preuve s’il en est que le protocole de base n’est pas, en l’état, dimensionné pour le retail de masse.

Au-delà des délais et des coûts, la blockchain bitcoin n’a pas été conçue pour les smart contracts, ce qui la rend inadaptée à certains usages, et notamment à la tokenisation d’actions, d’obligations ou d’instruments financiers complexes. Sa gouvernance, fondée sur une règle de majorité simple à 51%, offre une remarquable stabilité pour un actif de réserve, mais elle manque de souplesse pour faire évoluer rapidement le protocole vers de nouveaux cas d’usage.

Une consommation énergétique plus importante

Le modèle de sécurité de la première blockchain créée, bitcoin, repose depuis sa création sur un mécanisme novateur dit de proof-of-work (PoF), qui demande une dépense d’énergie importante pour résoudre des calculs. D’autres protocoles, comme Ethereum ou Solana, ont développé depuis des mécanismes dits de proof-of-stake (PoS), qui réduisent drastiquement la consommation d’énergie par transaction en sélectionnant les validateurs selon les cryptos qu’ils engagent, rendant le processus beaucoup moins énergivore.

Cette différenciation ne relève pas du détail : pour de nombreux cas d’usage, une technologie de blockchain qui combinerait efficacité énergétique et scalabilité disposerait d’un avantage comparatif sur le bitcoin.

L’essor des altcoins de paiement

Pour les paiements rapides et peu coûteux, d’autres protocoles ont été conçus dès l’origine pour optimiser les flux transfrontaliers et les transferts de petits montants. C’est le cas de XRP : il permet des règlements quasi-instantanés avec des frais très faibles, ce qui en fait un candidat naturel pour les transferts de fonds, notamment dans les pays en développement. On peut aussi mentionner Litecoin ou bitcoin Cash, dont le protocole est dérivé de celui du bitcoin tout en améliorant la rapidité de traitement et le coût unitaire des transactions, offrant des infrastructures plus adaptées aux usages quotidiens.

Dans cette perspective, on pourrait observer une spécialisation des blockchains : certaines, comme bitcoin, resteraient des réserves de valeur, plus lentes mais plus sécurisées, tandis que d’autres prendraient en charge les paiements de détail, les transferts vers l’étranger entre particuliers ou les règlements B2B de faible montant. Cette coexistence fonctionnelle probable démontre qu’on est loin d’une domination absolue du bitcoin sur l’ensemble des cas d’usage crypto.

Les smart contracts, moteurs de la tokenisation

L’essentiel de l’innovation crypto se joue désormais sur les blockchains à smart contracts, où se développent la finance décentralisée (DeFi), les stablecoins et la tokenisation d’actifs financiers. Ethereum a ouvert la voie, tandis que des réseaux comme Solana, Binance Smart Chain ou Base misent sur des frais réduits et une exécution rapide pour répondre aux besoins des développeurs et des institutions.

Les protocoles de DeFi ont pour objectif d’améliorer et de rendre plus accessibles les services financiers. Les stablecoins, adossés à des monnaies fiduciaires mais émis sur ces réseaux, offrent une infrastructure de paiement numérique stable et efficace. Surtout, la tokenisation de tout type d’actifs promet une meilleure liquidité, un règlement-livraison quasi-instantané et une traçabilité renforcée, que la blockchain bitcoin ne peut pas offrir dans sa forme actuelle. Le développement de ces solutions renforce l’utilité économique des blockchains qui les hébergent.

Vers un leadership plus fragmenté

Si le bitcoin devait perdre son statut de “roi des cryptos”, ce ne serait probablement pas au profit d’un unique remplaçant, mais au bénéfice d’un écosystème multipolaire où chaque protocole occupe un rôle spécifique. Les blockchains de paiement rapide, les réseaux de smart contracts dédiés à la tokenisation et les infrastructures de stablecoins pourraient capter une part significative des flux économiques, laissant au bitcoin un rôle plus délimité d’actif de réserve.

Pour les investisseurs professionnels comme pour les conseillers patrimoniaux, l’enjeu n’est pas de parier sur un “monarque absolu”, mais de comprendre les différents cas d’usages des crypto-actifs. Ils peuvent ainsi investir sur des allocations diversifiées, alignées sur les besoins réels des clients et les contraintes réglementaires. La prochaine phase de maturité du marché crypto se jouera moins sur le seul développement du bitcoin que sur la capacité à articuler la complémentarité de ces différentes briques technologiques.