Tendance
[Tribune] Logement en Suisse : hausse des prix et loyers sous pression
- Lundi 30 juin 2025 - 11:00
- | Par Arthur Jurus, stratégiste banque privée à Oddo BHF
Le retour du taux directeur de la Banque nationale suisse à 0 % redonne de l’élan au marché immobilier helvétique. Dans un contexte de pénurie persistante de logements et de pouvoir d’achat en hausse, l’année 2025 s’annonce comme une année haussière, pour les prix des biens comme des loyers.
La décision largement anticipée de la Banque nationale suisse de ramener son taux directeur à 0 % en juin devrait soutenir le secteur immobilier suisse. Entre 2015 et 2022, alors que les taux négatifs étaient en vigueur, l’indice SWIIT - un panier de 15 fonds immobiliers suisses - a enregistré une croissance annuelle moyenne de 8 %. La perspective d’un retour en territoire négatif d’ici la fin de l’année, envisagée par de nombreux analystes, devrait encore stimuler la demande, tant pour l’immobilier résidentiel que commercial. À la suite de cette baisse de taux, les taux hypothécaires ont poursuivi leur convergence vers 1,3%, renforçant l’intérêt pour l’achat de biens immobiliers par rapport à la location.
Momentum pour le marché
Ce nouvel élan intervient à un moment déjà favorable pour le secteur. Depuis le début de l’année 2025, l’indice SWIIT a progressé de près de 4 %. L’année en cours s’annonce comme une période charnière pour le marché immobilier suisse dans son ensemble, marquée par des dynamiques contrastées : un nouvel assouplissement des conditions de financement et des tensions persistantes sur le marché locatif. Après une augmentation de 2,4 % des prix de l’immobilier résidentiel en 2024, les projections pour 2025 tablent sur une progression de 3 à 4 %, portée par le rebond de la demande et une offre structurellement insuffisante. À moyen terme, les prix pourraient ainsi se rapprocher de leur croissance annuelle moyenne de long terme, estimée à 6 % au cours des deux dernières décennies.
Les prix de l’immobilier résidentiel font également preuve d’une forte résilience face aux pressions déflationnistes, soutenus par des fondamentaux macroéconomiques solides et une demande structurelle robuste. Le dernier rapport sur l’inflation suisse - le premier à afficher une déflation depuis 2021, avec une baisse annuelle de 0,1 % - montre que l’immobilier est l’un des rares secteurs à enregistrer encore une hausse des prix, contrairement à la majorité des autres composantes de l’indice. Cette tendance est portée par la croissance démographique, notamment liée à l’immigration nette, ainsi qu’à la pénurie persistante de logements, en particulier dans les zones urbaines.
Pouvoir d'achat en hausse
Par ailleurs, le pouvoir d’achat réel des ménages continue de s’améliorer grâce à une inflation faible et à la progression des salaires réels. Depuis 2019, le revenu réel moyen des ménages suisses a augmenté de 7,5 %, et cette tendance haussière devrait se poursuivre en 2025. Le marché du travail reste solide, avec un taux de chômage stable autour de 2,2 %, ce qui renforce la confiance des acquéreurs. L’immigration nette devrait atteindre au moins 70 000 personnes cette année, confirmant l’attractivité économique de la Suisse et accentuant la pression sur le marché résidentiel.
Sur le marché locatif, la situation restera tendue en 2025, malgré une légère hausse de l’offre. Les permis de construire déposés en 2024 laissent entrevoir une augmentation de 7,6 % du nombre de logements à venir, mais cela reste insuffisant pour combler le déficit accumulé ces dernières années. Entre 2020 et 2023, le nombre moyen de logements construits chaque année était inférieur de 5 400 unités aux besoins réels - un déséquilibre difficile à résorber à court terme. En conséquence, les loyers devraient poursuivre leur progression, avec une hausse attendue d’au moins 3 % cette année.
Hausse disparate
Les régions les plus dynamiques en 2025 devraient rester celles ayant déjà connu une forte demande ces dernières années. La Suisse romande, notamment le canton de Vaud, continuera de présenter des déséquilibres marqués entre prix et loyers, rendant l’investissement immobilier potentiellement plus risqué mais aussi plus rémunérateur pour les investisseurs à la recherche de rendement locatif. En Suisse alémanique, les régions de Zurich, du Limmattal et d’Einsiedeln resteront sous tension, avec une hausse des prix attendue entre 3,5 % et 4,5 %.
Dans le segment du luxe, le dernier Luxury Property Focus publié par UBS indique que ce marché de niche entre dans une phase de consolidation, après plusieurs années de forte appréciation. En 2024, les prix n’ont progressé que de 1,2 % en moyenne — soit deux fois moins qu’en 2023. Ce ralentissement ne reflète pas un affaiblissement de la demande, mais une normalisation après des excès de valorisation. Les prix actuels restent 27 % au-dessus de leur niveau de 2019. Les régions de Zoug et des rives du lac de Zurich ont enregistré les plus fortes hausses depuis 2019, tandis que Genève et le Tessin ont connu des progressions plus modérées. En 2025, la demande restera limitée par des critères de financement plus stricts, des niveaux de prix élevés et un franc suisse fort, qui réduit l’attrait de ce segment pour les acquéreurs étrangers.
La baisse des taux d’intérêt redonne un fort pouvoir d’achat aux ménages et devrait encourager la poursuite de la hausse des prix de la propriété. Toutefois, la persistance de la pénurie de logements et la hausse attendue des loyers maintiendront une pression importante sur le marché locatif. Dans ce contexte, les investisseurs institutionnels pourraient également être tentés de renforcer leur présence sur le marché résidentiel, profitant d’un environnement de taux bas et d’une demande structurellement forte.