Fiscalité
Succession : les pièges de l’acceptation « à concurrence de l'actif net »
- Lundi 16 décembre 2024 - 09:18
- | Par Jean-Denis Errard
Lorsqu’un héritier a un doute sur la consistance du patrimoine de la succession, il peut accepter « à concurrence de l'actif net ». Les créanciers doivent rapidement se déclarer, y compris, déclare la Cour de cassation*, s’il s’agit de l’un des héritiers ayant une créance à valoir !
Dans ce dossier soumis à la Cour de cassation, un homme est décédé en 2015, en laissant pour lui succéder son épouse, leur fils mineur ainsi que deux filles issues d'une précédente union. Les quatre héritiers ont accepté la succession à concurrence de l'actif net (autrefois, « sous bénéfice d’inventaire »), une option possible si l’on craint que les dettes du défunt excèdent le montant de son patrimoine.
La procédure, rappelons-le, est lourde, puisque les héritiers doivent effectuer une déclaration de leur acceptation soit auprès d’un notaire soit auprès du greffe du tribunal judiciaire (dont dépend le domicile du défunt). Ils doivent faire paraître un avis dans un journal local d’annonces légales et au bulletin légal, le BODACC, cela pour informer les créanciers. De même pour l’inventaire.
Près de 320 000 € de créance
Dans cette affaire, en 2017, la veuve a assigné ses deux belles-filles en règlement de 159 800 € pour chacune correspondant à leur quote-part de la dette d'impôt sur le revenu des années 2014 et 2015 du défunt mari, une dette qu'elle avait assumée seule en sa qualité de codébitrice solidaire.
Cette demande est légitime. Pourtant, cette veuve va échouer en première instance, en appel et en cassation. En effet, selon l'article 792 du code civil, les créanciers qui ont un montant à faire valoir sur la succession doivent le notifier dans les 15 mois au « domicile élu de la succession » (souvent l’étude notariale). Lorsque la créance ne peut pas être chiffrée, elle doit être déclarée « à titre provisionnel sur la base d'une évaluation ».
Faute de déclaration dans ce délai (à compter de la publicité de la déclaration d'acceptation de succession, au BODACC), les créances non assorties de sûretés sur la succession sont éteintes.
Ce délai, affirmait la veuve, n'est pas applicable aux créances en contribution détenues par un héritier à l'encontre de ses cohéritiers pour leurs parts respectives.
Tous les créanciers sans exception
L’article 792 cible les créanciers, sans exception ; alors la Cour de cassation confirme la cour d’appel, cette obligation de déclaration s'impose aussi à l’héritier codébiteur solidaire du défunt.
En l’occurrence, 1°) l’origine de la dette d’impôt sur le revenu est antérieure à la date du décès ; donc, c’est une dette de la succession incombant aux quatre héritiers. 2°) La veuve a réglé par la suite la totalité de la dette d’impôts à l’administration fiscale en tant que codébitrice solidaire, ce qui la rendait « créancière de la succession et non directement créancière des autres héritiers, ces derniers venant seulement aux droits et obligations de leur auteur du chef duquel était née la dette fiscale ».
>>>Nos commentaires : Dura lex sed lex ! Il est curieux d’assimiler l’un des héritiers ayant une créance sur les autres à un créancier sur la succession. Mais l’article 792 ne l’exclut pas ! Sans doute le notaire en charge de la succession a-t-il considéré que cette veuve n’avait pas à se soumettre à cette obligation de déclaration et de publicité ! Celle-ci pourrait être tentée de se retourner contre lui compte tenu de l’importance de sa créance…
Rappelons que la déclaration de créances ne doit pas être faite avant la publicité au BODACC (Cass. civ. 1ère 31 mars 2016 n° 15-10.799), sinon elle est sans valeur. Et elle doit être faite à l’adresse du « domicile élu » mentionnée dans la déclaration d’acceptation de la succession (en l’espèce celle du notaire alors que le créancier a envoyé sa notification au domicile de l’héritier unique) (Cass. civ. 1ère 8 mars 2017, n° 16-14.360 ; 16 janvier 2019, n° 18-11.916).
*Cass. civ. 1ère 11 décembre 2024 n° 22-17.867
JDE