18122024

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Fiscalité

Des travaux pris en charge par l’usufruitier peuvent cacher une donation

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Dans cette affaire une veuve avait financé largement des travaux sur une propriété dont elle était usufruitière et l’un de ses enfants, nu-propriétaire. Cette prise en charge peut-elle dissimuler une donation faite au détriment des autres enfants ? Oui déclare la Cour de cassation*.

Un couple a consenti une donation-partage avec réserve d'usufruit à leurs trois enfants, dont une propriété attribuée à l’un d’entre eux. Lors du règlement de la succession du dernier vivant, en l’occurrence madame, il apparaît que cette veuve a grassement financé les travaux de rénovation « afin de rendre habitable cet ancien logement de garde, resté longtemps désaffecté ».

D’où la question : les deux autres enfants peuvent-ils y voir une donation déguisée et exiger le rapport à l’actif successoral des 922 843 € réglés aux entrepreneurs par l’usufruitière ?
Evidemment, la sœur possédant la nue-propriété a soutenu qu’il s’agissait de travaux d’entretien et de réparation incombant légalement à tout usufruitier. Il ne peut donc pas, selon elle, y avoir de libéralité cachée.

Des travaux d’amélioration

La cour d'appel de Dijon (30 juin 2022, RG n° 21/00527) a constaté que la mère avait non seulement pris en charge des gros travaux incombant au nu-propriétaire, mais également des travaux d'aménagements (électricien, plombier, interphone, restauration de façade, éclairage, ravalement) relevant de la charge de l'usufruitier.

La cour d'appel déclare ainsi que « la mère, usufruitière de la propriété, avait financé à hauteur de 660 498 € des travaux qui n'étaient nécessités ni par une contrainte de bail ni par une obligation légale de rénovation et que, dès lors, elle s'était appauvrie dans une intention libérale au profit de la nue-propriétaire, de sorte que cette somme devait être rapportée à la succession ».

L’affaire a été portée devant la Cour de cassation.

Une intention llibérale

On est là sur une question factuelle liée à la nature des travaux effectués (art. 605 s., C. civ.) et à leur intérêt pour l’usufruitière. La Cour énonce deux règles :
1. « La réalisation par l'usufruitier de travaux d'amélioration valorisant le bien n'est pas exclusif d'un dépouillement dans une intention libérale »…
2. Mais « peu important que ceux-ci soient légalement à sa charge ».

En l’occurrence ces travaux n’étaient pas à la charge de la nue-propriétaire mais il s’agit de travaux d’amélioration, ce qui signifie non nécessaires pour l’habitabilité, donc cette bonification de la maison peut être constitutive d’une donation déguisée. Cela d’autant que, relève la Cour de cassation, « l'intéressée n'en avait tiré aucune contrepartie à son bénéfice » (la veuve n’occupant pas les lieux n’a donc pas fait ses travaux pour elle ni pour mettre en location).

Par conséquent, « en finançant l'ensemble de ces travaux, [la mère] s'était appauvrie, dans une intention libérale, au profit de la nue-propriétaire, de sorte que la somme correspondante devait être rapportée à la succession ». D’où la réintégration de 922 843 € à l’actif successoral !

Nature des travaux et intérêt de ces travaux pour la veuve, voilà qui a conduit à considérer qu’il y a eu une intention libérale. La Cour de cassation ne dit pas que tous les travaux réalisés par l’usufruitier sont suspects mais qu’ils peuvent l’être : s’ils n’ont pas d’intérêt pour l’usufruitier et s’il s’agit d’améliorations, là les autres nus-propriétaires ont leur mot à dire (mais ils ne diront rien bien sûr s’il s’agit d’une nue-propriété en indivision entre eux, à moins que l’administration fiscale…).

(Cass. civ. 1ère 23 octobre 2024, n°22-20.879)

 

JDE