Fiscalité
« Le paiement en bitcoin est une façon de répondre aux attentes de populations jeunes »
- Mercredi 4 décembre 2024 - 17:13
- | Par Jonathan Blondelet
Gwendal Texier, notaire en Ille-et-Vilaine, propose depuis peu le règlement de certains actes grâce au cryptoactif. Premier officier ministériel public à proposer ce service, il n’anticipe pas pour autant de démocratisation rapide de cette pratique.
Si les achats de biens immobiliers en cryptoactifs ne vont pas devenir monnaie courante, une première brèche a été ouverte pour les actes authentiques rédigés par les officiers ministériels publics. Gwendal Texier, notaire en Ille-et-Vilaine, a mis en place une procédure de paiement instantanée en bitcoin, garantissant un ancrage ultérieur dans la blockchain pour réduire les délais transactionnels.
Prudence des débuts oblige, elle ne concerne pour le moment que certains actes triés sur le volet, mais attise déjà la curiosité de ses confrères. Malgré les vents favorables à la création de Satoshi Nakamoto, soufflés par les gestionnaires d’ETF américains ou Donald Trump, Gwendal Texier, que la rédaction a interrogé, n’imagine pas que ce mode de paiement se répande comme une traînée de blocs.
Que proposez-vous concrètement ?
Gwendal Texier : J’offre la possibilité aujourd’hui à mes clients de faire des paiements de frais de petits actes d’une valeur inférieure à 500 euros en bitcoin. Peuvent être réglés l’ensemble des frais (émoluments et taxes compris).
Sont concernés la donation entre époux, le contrat de mariage, le mandat de protection future, Pacs, testament, bail, ou la promesse de vente. Puisque ces actes qui concernent souvent des populations jeunes, c’est une façon de répondre à leurs attentes.
Comment intégrez-vous comptablement le paiement ?
G.T : Le versement de bitcoin est considéré comme un paiement en nature puisqu’il s’agit d’un actif avec une valeur. Nous inscrivons en comptabilité une contre-valeur du même montant et immobilisons comptablement l’actif en haut de bilan. Nous le conservons ainsi dans la durée en misant sur sa valorisation.
Le bitcoin est comptablement traité comme une devise, suivant les écrits de Bercy. Puisque le cryptoactif a cours légal au Salvador et que la France reconnaît le Salvador en tant que pays, le token doit être considéré comme une devise.
Ce n’est pas le cas des autres cryptoactifs ?
G.T : Bercy ne s’est pas engagé sur le traitement juridique et fiscal du bitcoin, mais n’a pas d’autre choix que de lui reconnaître comme devise puisque sa qualification juridique a changé en droit international. Ceci ne vaut cependant pas pour les autres cryptomonnaies.
Le bitcoin se distingue également par rapport à l’usage : c’est un actif financier, une valeur refuge, sur lequel des ETF se sont construits. Ce n’est pas encore le cas de l’ethereum, considéré plutôt comme une blockchain sur laquelle se construisent d’autres blockchains qui ont développé des utilities dans la finance décentralisée, répondant souvent à des logiques de venture capital.
Et à l’inverse de l’ethereum, le bitcoin n’a pas d’origine identifiée et ne peut être impacté sauf en cas de consensus majoritaire pour en changer les règles, ce qui semble très théorique.
La mise en place de ce service a-t-elle été difficile ?
G.T : Beaucoup de littérature est aujourd’hui disponible sur le sujet. Nous nous sommes appuyés sur une consultation d’experts-comptables sur la façon d’inscrire cet actif au bilan.
Je ne mets pas ce service en avant cela de manière ostentatoire, nous commençons par de petits actes pour l’appréhender.
Nous utilisons comme outil Swiss Bitcoin Pay, reconnu dans la communauté pour sa simplicité d’usage. Une facture est émise et scannée par le client grâce à un QR code. Le paiement se fait sans délai de minage - qui peut prendre plusieurs heures - grâce à un transfert sur le lightning bitcoin de mon propre wallet. Ce flash s’opère grâce à une surcouche qui permet des transferts instantanés avec ancrage ultérieur dans la blockchain.
Je rentre le montant en euros, et l’application convertit instantanément en sats (des millionièmes de bitcoin) avec conversion au moment du transfert. Le règlement se fait dans la foulée de la signature de l’acte.
La valorisation serait-elle plus complexe dans le cadre d’une succession ?
G.T : Dans le cadre d’une succession, la valorisation des actifs a lieu au moment du décès. Mais en faisant le partage, on applique la valeur la plus proche à ce moment-là, ce qui entraînerait une réévaluation du cryptoactif.
Cela nécessite des moyens un peu différents de ceux que l’on a actuellement pour reconstituer le patrimoine. Les successions avec ce type d’actifs risquent de devenir une spécialité avec des compétences particulières pour pouvoir les appréhender au mieux.
Combien de transactions ont eu lieu par ce biais ?
G.T : Une seule pour le moment, pour une donation entre époux, trentenaires et salariés, sans profil maximaliste ou entrepreneur de la tech, d’un montant de 300 euros.
D’autres notaires vont s’y intéresser, beaucoup m’ont appelé car ils veulent vivre cette expérience. Ce mode de paiement est amené à se répandre, mais sans se démocratiser pour autant : il m’a fallu cinq ans d’apprentissage avant de le mettre en place.