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Gestion de Fortune n° 338 - Septembre 2022

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L'Edito de Jean-Denis Errard

 Tout va bien

 L' évolution de notre environnement économique et financier me fait penser à cette vieille chanson de Gaston Ouvrard, « j’ai la rate qui se dilate, j’ai le foie qu’est pas droit… ». On pourrait entonner à sa manière : j’ai l’inflation qui fait la révolution, j’ai la bourse qui fait l’ours (bear market), j’ai les taux qui font le marteau, j’ai les crypto qui foutent à l’hosto… « Je souffre de tous les côtés », chante ce chansonnier à succès d’avant-guerre.

Il y a six mois, le ciel était bleu et ensoleillé partout, sur tous les segments patrimoniaux. Telles les bourrasques météorologiques de cet été, l’ambiance s’est subitement assombrie sous des nuages noirs de « ion » : invasion et déflagration, inflation, stagflation, déflation, dépression, spéculations, nous mettant la rate au court-bouillon.

Non non, n’exagérons pas, me dit-on, l’immobilier tient bon, les zinzins raflent tout. Les structurés, stimulés par le regain de volatilité, ont le vent en poupe. Le private equity, également, a plus que jamais la cote.

Pourtant, Vincent Mortier, le directeur des gestions chez Amundi, premier gestionnaire d'actifs européen, a jeté le trouble lors d’une conférence en juin en évoquant « la grosse bulle » sur les marchés privés. Cet expert des marchés financiers a porté un regard pour le moins scabreux sur le non coté. « Si je prends une analogie extrême, certaines parties du marché du capital- investissement peuvent ressembler à un système de Ponzi, une pyramide en quelque sorte ». Wouah ! Le rush actuel sur le private equity aurait-il à voir avec la folie spéculative de l'escroc Bernard Madoff ? Pour lui les sociétés de gestion se refilent leurs participations sur des niveaux de valorisation de plus en plus délirants – « disons 20, 25 ou 30 fois les bénéfices », affirme Vincent Mortier – dans une course à l’échalote sans fin.

Ce patron de gestion a fait hurler toute la communauté. Mais, face à une conjoncture aussi nébuleuse, ne convient-il pas, plutôt que continuer à danser sur l’air de « tout va bien madame la marquise », se demander s'il n'y a vraiment pas des « tout petits riens », comme dit la chanson de Paul Misraki, qui justifieraient la vigilance ? L’analogie est extrême, nous dit Vincent Mortier, son interpellation n’en est pas moins pertinente au regard des multiples d’Ebitda, a fortiori dans un domaine où la liquidité dépend de la bonne volonté des acheteurs. C’est indéniable, les valorisations ont pris un coup de chaud ces derniers temps à cause des excès de levées de fonds et de crédits à bas coûts.

Dans tous les domaines d’investissement, et tout au long de ma carrière, spécialement à l’orée des années 90 avant la crise immobilière, et à la fin des années 90 avant l’explosion de la bulle internet sur les marchés, j’ai toujours été frappé par cette incapacité de la Place à se poser des questions. On veut toujours se convaincre que tout va bien.