Fiscalité
Abus de droit fiscal : la mobilisation des fiscalistes fait réagir Bercy !
- Lundi 21 janvier 2019 - 12:26
- | Par Gestion de Fortune
Sans aucune concertation préalable, la loi de finances pour 2019 a fait sauter le verrou de l’abus de droit fiscal en permettant de requalifier une opération qui aurait pour « objectif principal » - et non plus exclusif - d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales.
Le nouvel article L 64 A du Livre des procédures fiscales issu de la loi de finances pour 2019 est applicable aux actes passés à compter du 1er janvier 2020. « Le législateur a prévu ce report de l'entrée en vigueur pour permettre à l'administration d'en préciser les modalités d'application », cela, précise le ministère des Finances, « en concertation avec les professionnels du droit concernés, afin de garantir la sécurité juridique des contribuables ».
En fait de « garantie de la sécurité juridique », on voit bien que ce texte introduit bien au contraire une extrême insécurité sur la validité des montages par rapport à l’interprétation très subjective qui pourra être faite par l’administration. « On passe clairement, fait remarquer Stéphane Absolu, directeur de l’ingénierie patrimoniale du cabinet Cyrus Conseil, d’une ère de sécurité contractuelle à une ère de judiciarisation tant pour les opérations patrimoniales que sur l’ensemble des choix de structuration des entreprises ».
Samedi 19 janvier, dans un communiqué intitulé « Communiqué de presse sur l'abus de droit fiscal », Bercy a voulu confirmer la validité de l’analyse exprimée par le professeur Frédéric Douet et la notaire Arlette Darmon dans Les Echos du 17 janvier 2019 sur la question de la donation avec réserve d’usufruit.
« L’inquiétude exprimée n'a pas lieu d'être » conclut le communiqué de presse. En effet, en ce qui concerne la crainte exprimée d'une remise en cause des démembrements de propriété, la nouvelle définition de l'abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l'usufruit du bien transmis (sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives).
Notons qu’il est très inhabituel que Bercy publie un communiqué de presse en plein week-end pour « indiquer qu'une opération parmi les plus anodines (et en elle-même la plus éloignée du comportement abusif en raison des conséquences patrimoniales majeures qu'elle emporte) ne relève pas du nouveau dispositif anti-abus » (professeur Olivier Négrin de l’université d’Aix-Marseille).
Une clé de lecture
Le ministère des Finances livre une importante clé de lecture des montages a priori indiscutables : « La loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre générations parce qu'elles permettent de bien préparer les successions, notamment d'entreprises, et qu'elles sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle ». Ainsi, il ne devrait pas être discuté qu’une donation avec réserve d’usufruit au bénéfice d’un enfant unique est malgré tout justifiable par un objectif non principalement fiscal !
Reste de nombreuses inconnues que suscite ce nouvel L 64 A du Livre des procédures fiscales car cette « mise au point » de Bercy demeure assez vague. Quid des donations avec quasi usufruit ? Quid des options à l’impôt à l’IS pour les sociétés civiles ? Quid de la donation-cession en démembrement, surtout avec report du démembrement sur le prix de cession ? Quid des donations d'usufruit temporaire ? Comme le fait observer le professeur Renaud Mortier, « pour les stratégies les plus sophistiquées, il faudra soupeser avantages fiscaux et utilités civiles, pour déterminer de quel côté pourrait pencher la balance ».
Au final, « il faudra des années de contentieux pour que, dans les différents domaines de la loi fiscale, les citoyens puissent retrouver un peu de sérénité et de sécurité », déplore Jean-Luc Marchand, tax partner (Latournerie Wolfrom Avocats).« En attendant, comme le confirme d’ailleurs le ministre dans son immense et paternelle bienveillance, on s’en remettra aux lumières de l’administration fiscale, à qui, une nouvelle fois, le législateur a abandonné avec soulagement ses prérogatives ».
Ceci dit, le professeur Frédéric Douet démontre que rien ne dit que ce nouvel L 64 A du Livre des procédures fiscales serait validé par le Conseil constitutionnel ! (à lire dans notre édition du 1er février).
Jean-Denis Errard