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Fiscalité

Chronique de jurisprudence fiscale : septembre et octobre 2025

justice sanction condamnation arrêt

Chaque mois, CMS Francis Lefebvre décrypte pour Gestion de Fortune les dernières décisions en matière de fiscalité patrimoniale. Une sélection commentée des arrêts et jugements les plus significatifs pour les praticiens.

 

 

 

 

 

Evaluation des parts d’une SCI en matière d’IFI (Tribunal Judiciaire de Compiègne, 2 septembre 2025, n° 24/00911)

Pour la première fois à notre connaissance, un tribunal a rendu une décision relative à l’application de la clause anti-abus en matière d’IFI.

Pour rappel, les dettes immobilières sont en principes déductibles de l’actif taxable à l’IFI mais le Législateur a prévu, à l’article 973 du code général des impôts, des règles « anti-abus » dans quelques situations spécifiques. Ainsi, par exemple, lorsqu’une SCI acquiert un bien immobilier auprès de son associé redevable (vente « à soi-même »), la dette de la SCI est déductible uniquement si le contribuable peut démontrer que le prêt n'a pas été contracté dans un objectif principalement fiscal.

La question de l’objectif principalement fiscal (ou non) s’est présentée devant le tribunal judiciaire de Compiègne, dans une situation où des époux avaient constitué une SCI pour lui vendre deux immeubles. L’administration fiscale a refusé la déduction des dettes de la SCI.

Les contribuables ont toutefois réussi à convaincre le tribunal que l’opération ne poursuivait pas un objectif principalement fiscal. Ils ont fait valoir :
- que leur patrimoine était essentiellement immobilier et qu’ils souhaitaient pouvoir disposer de liquidités pour leur retraite
- que l’acquisition des immeubles par la SCI avait été suivie d’une donation des parts de la SCI au profit des enfants du couple

Comparé à la charge fiscale économisée au titre de l’IFI, les avantages non fiscaux recherchés ont été jugés suffisants par le tribunal.

Apport-cession et obligations déclaratives (Cour administrative d’appel de Toulouse, 18 septembre 2025, n° 23TL03011)

Il n’est pas rare, dans le cadre de la cession d’une entreprise à un tiers, que le cédant réalise une opération préalable dite d’ « apport-cession ».

Le principe de l’apport-cession est simple : l’actionnaire, au lieu de céder directement ses titres, les apporte (en tout ou partie) à une société holding et réalise à cette occasion une plus-value d’apport qui bénéficie d’un régime de report d’imposition . La holding cède ensuite les titres apportés et perçoit le prix de cession. La holding est alors soumise à une obligation de réinvestissement dans les deux ans de la cession. Ce réinvestissement, qui doit être réalisé dans des actifs économiques éligibles, conditionne le maintien du report d’imposition.

Un certain nombre d’obligations déclaratives doivent par ailleurs être respectées, tant par le contribuable que par la société holding.
La Cour administrative d’appel de Toulouse a précisément été saisie d’un dossier dans lequel certaines formalités (à savoir la déclaration de la plus-value d’apport et l’engagement de réinvestissement) n’avaient pas été accomplies, ce qui, d’après l’administration fiscale, devait entrainer l’imposition immédiate de la plus-value en report.

Le réinvestissement avait toutefois bien été réalisé et la Cour a conclu au maintien du report, en dépit des manquements déclaratifs.
Cette décision méritera d’être confirmée par le Conseil d’Etat. En tout état de cause, au vu des enjeux financiers souvent importants en la matière, nous ne saurons que trop recommander de veiller au strict respect des formalités déclaratives prévues par ce dispositif.

Apport-cession et date du réinvestissement (Cour administrative d’appel de Lyon, 23 octobre 2025, n° 24LY01395)

Dans cette affaire, un contribuable avait réalisé un apport-cession selon le calendrier suivant :
- apport des titres à la holding le 10 septembre 2013 
- cession des titres par la holding le 30 septembre 2014

Dans le cadre d’un contrôle, l’administration fiscale a demandé au contribuable de justifier que la condition de réinvestissement avait bien été respectée. Le contribuable a tenté de se prévaloir d’un investissement réalisé par la holding le 29 septembre 2014, soit la veille de la cession des titres...
La Cour a, dans ce cadre, jugé que la condition de réinvestissement ne pouvait pas être considérée comme remplie, puisque ledit réinvestissement avait été réalisé avant la cession (même à un jour près).

Dans la mesure où, par ailleurs, la holding n’avait pas réalisé de réinvestissement éligible au cours des deux années suivant la cession, la Cour a conclu que le report d’imposition avait pris fin et que la plus-value d’apport devait ainsi être imposée (au titre de l’année 2014).

Acquisition à prix minoré (Conseil d’Etat, 8 octobre 2025, n° 496738)

L’administration fiscale peut remettre en cause le prix de cession de titres entre tiers lorsqu’elle arrive à démontrer :
- l’existence d’un écart significatif entre le prix de cession et la valeur réelle des titres
- une intention libérale, c’est à dire la volonté pour le cédant d’octroyer et pour l’acquéreur de recevoir un avantage

Dans une affaire soumise au Conseil d’Etat, le PDG d’une société avait acquis des titres à un prix minoré auprès d’un actionnaire pour les revendre immédiatement, au même prix, à un autre actionnaire, en lui accordant un crédit-vendeur.

L’opération avait pour but de faciliter la montée au capital de cet autre actionnaire, compte tenu de son impossibilité de contracter un emprunt bancaire.
L’administration fiscale a tenté d’imposer le dirigeant à hauteur de la minoration de valeur dont il avait « bénéficié » lors de l’acquisition des titres (bien qu’il n’ait réalisé aucune plus-value au titre de l’opération globale).

Dans ces circonstances particulières, le Conseil d’Etat a toutefois jugé que l’intention libérale n’était pas démontrée, et a annulé les rappels d’impôt mis à la charge du dirigeant.

Si l’intention libérale n’a en l’occurrence pas été établie et si le contribuable a in fine obtenu gain de cause, on doit observer que les circonstances de l’espèce étaient très spécifiques. Il reste de bonne pratique de toujours rechercher à s’inscrire dans des conditions de marché, a fortiori lorsque les parties à la transaction sont en relation d’intérêts. Dans ce cas en effet, l’intention libérale est présumée et la charge de la preuve de la « normalité » de l’opération repose alors sur le contribuable en cas d’écart de prix significatif avec le prix de marché.