Fiscalité
[Tribune] Expatriation des personnes physiques, un sujet à la mode
- Mardi 18 février 2025 - 11:55
- | Par Jérôme Barré, avocat-associé au cabinet Yards
Ils sont très inquiets, ils s’interrogent, ils n’en ont pas envie ; cependant les incertitudes auxquelles nous sommes tous confrontés les engagent à réfléchir à une voie qui jusqu’à maintenant n’avait pas leur faveur. Rester, partir, un choix personnel et technique difficile. Quelques aspects pour commencer ce chemin de réflexion.
Les révélations d’une dette d’Etat abyssale, les hésitations des derniers projets de lois de finances, le climat délétère qui règne à l’Assemblée nationale, les règlements de compte fiscaux à l’encontre des « riches » – on nous expliquera bientôt que les « riches » sont la cause du découvert financier de notre pays – l’incertitude, conduisent beaucoup de contribuables à s’interroger sur leur destin fiscal. Faut-il ou non quitter notre beau pays, et vers quelle destination ? Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas d’un caprice ou d’une volonté forcenée d’échapper à l’impôt, mais plutôt d’une réelle inquiétude et du mécontentement des fourmis face à l’impéritie d’un Etat cigale. Le consentement à l’impôt semble avoir atteint une limite.
Pratique complexe
Le concept d’expatriation est assez simple à envisager. La pratique est nettement plus complexe, et il faut bien réfléchir à ce qui pourrait se transformer en un naufrage domestique. Il convient tout d’abord de réaliser une analyse approfondie de sa situation personnelle. Accepte-t-on de s’éloigner durablement de son environnement habituel, famille, passion, gastronomie, culture et quel enrichissement personnel est-on en droit d’attendre ailleurs ? Autrement dit, l’exil fiscal ne doit se révéler un échouage familial et humain.
Ensuite, il convient de bien appréhender les règles du jeu. D’une manière générale, quand on part, on part vraiment, et l’on doit pratiquer la politique de la terre brûlée de l’endroit d’où l’on vient. Il faut aussi connaître et comprendre à la fois le droit interne français, le droit des traités fiscaux internationaux et les règles fiscales du pays d’accueil : l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. Cette analyse juridique et fiscale, car il faut aussi tenir compte des régimes matrimoniaux (par exemple, quelles seraient les conséquences d’un divorce à l’étranger ?), des régimes de succession, et de la fiscalité est absolument indispensable.
Critères de résidence français...
Les personnes physiques disposant de leur domicile fiscal en France sont imposables sur leur revenu mondial. Les non-résidents français ne sont imposables que sur leurs revenus français. Selon notre droit domestique (article 4B du CGI), quatre critères alternatifs permettent en quelque sorte d’attraper un contribuable pour le taxer en France : disposer de son foyer en France (l’endroit où je reviens après une campagne de pêche à Terre-Neuve, où j’ai mon pyjama, où je retrouve ma famille) ou à défaut, où se situe le lieu de son séjour principal (présomption qui se formalise si j’ai séjourné plus de 183 jours en France), exercer en France une activité professionnelle principale, ou encore disposer en France du centre de ses intérêts économiques (l’endroit d’où je perçois des revenus, et aussi l’endroit d’où je gère mes actifs). Les tribunaux sont attentifs au lieu de situation de la famille et où sont localisés la majeure partie des revenus et du patrimoine du contribuable une fois installé hors de France. Mais en cas de conflit de lois internes entre deux pays, les conventions viennent à s’appliquer subsidiairement et s’imposent au droit interne.
Dans les conventions figurent quatre critères mais qui sont cette fois-ci successifs, et non alternatifs. La dénomination des critères rend confuse l’analyse car les termes sont proches de ceux du droit domestique, mais recouvrent des notions assez différentes.
... Et internationaux
En règle générale, dans les conventions modèles OCDE, le premier critère est le foyer permanent d’habitation (FPH), i.e. tout lieu tectonique fermé auquel je peux me rendre à tout moment, autrement dit une maison ou un appartement, habitables, dans lesquels je peux me rendre à tout moment, que j’en sois propriétaire ou non. Une résidence secondaire constitue un FPH, même si l’administration fiscale peut ne pas être agressive sur ce sujet. Si je dispose d’un FPH dans chaque pays, je passe au deuxième critère.
Le centre des intérêts vitaux (CIV) cherche à déterminer sans véritable hiérarchie le pays avec lequel j’ai les liens personnels, d’une part, et les liens économiques, d’autre part, les plus étroits. Si je dispose de famille, d’amis, d’un club de golf, et également d’intérêts économiques et patrimoniaux dans chacun des pays, et que je ne peux définir sans équivoque le CIV, on passe au critère suivant.
Le lieu de séjour habituel (LSH), troisième critère seulement, évoquait également la durée de 183 jours. Une jurisprudence récente s’est attachée au texte des conventions et a préféré s’en tenir au texte et à analyser les séjours les plus réguliers entre deux pays.
Si le LSH ne peut être déterminé, le quatrième critère sera celui de la nationalité. Et si toutefois il existe une double nationalité, les Etats concernés se rapprocheront afin de décider du lieu de résidence du contribuable.
On constate que l’on est bien loin du critère de six mois qui semble le seul retenu par les contribuables. De plus, chaque convention a ses propres spécificités. Ainsi, dans la convention franco-suisse, le premier critère qui est celui du FPH est ramené au CIV ramené au pays avec lequel les liens personnels les plus étroits.
Champ d'application à surveiller
Il y a lieu également d’apprécier le champ d’intervention des conventions car autant elles traitent toutes de l’impôt sur le revenu, autant elles sont rares s’agissant des droits de donation ou de succession.
Une difficulté supplémentaire intervient dans les pays appliquant des forfaits fiscaux. Les amateurs de forfait doivent se demander s’ils pourront revendiquer l’application des traités internationaux. Les résidents fiscaux suisses ne sont pas reconnus comme résidents fiscaux au sens de la convention (CE, 25 juin 2021, n°442790), laissant les contribuables face au seuls droits internes, pouvant entraîner une double imposition des revenus.
Une situation similaire existe en Italie, où les bénéficiaires du régime du forfait des nouveaux résidents (imposition forfaitaire de € 200.000 sur les revenus étrangers) pourraient se voir refuser l’application de la convention entre la France et l’Italie en matière de successions et donations.
Planification essentielle
Enfin, la convention fiscale entre la France et les Émirats arabes unis illustre l’importance d’analyser les subtilités des traités. Un résident fiscal français ne peut être regardé comme résident aux Emirats Arabes Unis (EAU) en raison de la clause de départage : en percevant un salaire des Émirats, il bénéficie d’un crédit d’impôt égal à l’impôt français dû sur ses revenus, même si aucun impôt n’est prélevé localement. En revanche, si ce même contribuable est reconnu résident fiscal émirati et qu’il a son domicile fiscal au sens du droit interne, il ne peut imputer que l’impôt payé aux Émirats (généralement nul), ce qui le place dans une situation fiscale plus défavorable. Ainsi, être reconnu comme résident fiscal de son pays d’accueil peut parfois être plus avantageux qu’une expatriation pleinement assumée sur le plan fiscal.
L’expatriation ne doit pas être vue comme un simple déplacement géographique, mais comme une restructuration fiscale et patrimoniale nécessitant une approche fine des critères de résidence, des conventions fiscales et des régimes fiscaux étrangers. Une planification est essentielle pour éviter des requalifications coûteuses. Le choix du pays d’accueil, la gestion des actifs en France et l’utilisation des conventions fiscales doivent être précisément calibrés pour éviter toute exposition inattendue à l’impôt français. N’oublions pas que la nouvelle loi de finances tant attendue permet à l’Administration fiscale de revenir non pas trois ans en arrière, mais désormais dix ans sur la question de la réalité des délocalisations.