06112025

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Fiscalité

[Tribune] Anticiper, ou de l’art de pérenniser l’entreprise familiale

francois vignalou

Entre enjeux économiques, familiaux et fiscaux, anticiper la transmission d’une entreprise demeure un impératif majeur.

 

 

 

 

 

La transmission d’une entreprise familiale ne se réduit pas à la préservation d’un patrimoine privé. Elle s’inscrit au cœur de la vitalité économique française, contribue au maintien des emplois et incarne la continuité d’un savoir-faire qui dépasse la seule sphère privée. Mal préparée, elle peut devenir source de blocages, de conflits et de dépréciations dangereuses pour l’outil de travail.

Anticiper la transmission, c’est donc bien plus qu’organiser une succession : c’est protéger la valeur de l’entreprise contre les blocages de l’indivision, garantir la continuité d’une histoire entrepreneuriale et apaiser les divergences d’intérêts entre héritiers.

L’importance d’une communication préalable
La réussite et la stabilité de la transmission reposent sur une communication claire et anticipée entre le dirigeant sortant, les héritiers repreneurs ou non, ainsi que les actionnaires et les salariés.

La nécessité de cet échange collectif reflète une réalité complexe, où les modalités de reprise sont aussi diverses que les situations familiales. Le dirigeant peut souhaiter que tous ses enfants deviennent actionnaires, tout en réservant la direction à un seul d’entre eux.

Certains héritiers peuvent préférer recevoir d’autres biens. Par ailleurs, le dirigeant peut choisir de rester impliqué dans l’entreprise en conservant temporairement une minorité de blocage, ou, à l’inverse, transférer le pouvoir décisionnel tout en continuant à percevoir les bénéfices.

Par ailleurs, l’adhésion de tous ces acteurs au choix du repreneur constitue un facteur déterminant dans le succès de l’opération.

La valorisation rigoureuse de l’entreprise

Toute transmission repose sur une étape fondatrice : la valorisation de l’entreprise. Véritable socle de l’opération, elle détermine l’assiette d’imposition des mécanismes choisis et conditionne la sécurité de l’opération tant sur le plan civil que fiscal. Une valorisation incorrecte expose à un risque de redressements et à des pénalités fiscales pouvant atteindre jusqu’à 80%.

Mais l’évaluation d’une entreprise familiale dépasse la simple mécanique comptable. Elle suppose une analyse multifactorielle – cadre réglementaire, patrimoine matériel et immatériel, culture d’entreprise, rentabilité et perspectives – et le recours à des méthodes complémentaires (actualisation des flux de trésorerie, comparables, approche patrimoniale).

La collaboration entre avocat fiscaliste et expert-comptable apparaît alors comme une garantie de rigueur, permettant de sécuriser l’opération face à d’éventuels litiges et de poser une base solide à toute planification successorale.

La donation-partage : la transmission entre héritiers actifs et passifs

Instrument traditionnel de la transmission familiale, la donation-partage permet au dirigeant d’organiser, de son vivant, la répartition de ses biens entre héritiers en figeant leur valeur au jour de l’acte. Contrairement aux donations simples, qui sont réévaluées au décès, elle prévient tout déséquilibre successoral dû aux fluctuations ultérieures.

Cette donation peut être assortie d’une réserve d’usufruit, conférant la nue-propriété aux descendants tandis que le donateur conserve l’usufruit, et donc le contrôle économique de l’entreprise. Sur le plan fiscal, les droits de donation ne sont calculés que sur la valeur de la nue-propriété, selon un barème légal dépendant de l’âge du donateur. Au décès de ce dernier, la pleine propriété se reconstitue dans les mains des héritiers sans coût fiscal supplémentaire. Ce dispositif se combine avec l’abattement renouvelable de 100 000 € tous les 15 ans, applicable aux donations entre parents et enfants.

Par ailleurs, la donation-partage peut revêtir un caractère transgénérationnel, en associant à l’opération des descendants de degrés différents, notamment enfants et petits-enfants, et ainsi organiser la transmission sur plusieurs générations.

Dans ce cadre, la transmission transgénérationnelle peut intégrer la réincorporation de donations antérieures, qu’elles soient simples, donations-partages ou dons manuels, ce qui a pour avantage de transformer en partage des donations initialement non divisées et d’offrir au donateur la possibilité de redistribuer certains biens aux petits-enfants.

Sur le plan fiscal, la réincorporation de donations antérieures dans une donation-partage

transgénérationnelle n’est pas considérée comme une nouvelle donation, mais comme un nouveau partage. Elle bénéficie alors d’une fiscalité avantageuse, soumise uniquement au droit de partage de 2,5%, nettement inférieur aux droits de donation.

Le family buy out : la transmission à un héritier repreneur

Dans certains cas, un seul enfant est désigné comme successeur de l’entreprise. Le family buy out (FBO) répond à ce besoin en conciliant continuité de l’activité et équité entre héritiers.

Le dirigeant sortant effectue une donation-partage des titres au profit du repreneur, qui devra ensuite désintéresser ses frères et sœurs par le versement d’une soulte proportionnelle à leurs droits. L’héritier apporte ses titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, souvent une société civile ou une SAS, qui financera la soulte grâce aux dividendes remontés de la société opérationnelle et jouera le rôle de holding familiale.

Le fonds de dotation : la transmission à dimension philanthropique

Le dirigeant peut également inscrire son projet de transmission dans une perspective philanthropique en créant un fonds de dotation actionnaire.

En prenant une participation au capital, le fonds perçoit les dividendes de la société et peut, le cas échéant, céder ses titres à un tiers lors de la transmission. Cette structuration permet à l’entrepreneur de donner ou léguer ses titres au fonds, bénéficiant d’une exonération fiscale sur ces apports et ouvrant droit à des réductions d’impôt au titre du mécénat, sous réserve de conditions strictes. En cas de revente des titres, le fonds bénéficie généralement d’une exonération d’impôt sur les plus-values.

Le Pacte Dutreil, levier central de la transmission d’entreprise

Aux côtés de ces mécanismes, le pacte Dutreil occupe une place centrale. Il peut fonctionner seul ou renforcer d’autres mécanismes, en leur apportant une optimisation fiscale décisive.

Ce dispositif permet, sous réserve d’un engagement collectif de conservation des titres pendant au moins deux ans puis d’un engagement individuel de quatre ans, de bénéficier d’une exonération de 75 % des droits de mutation lors d’une donation ou d’une succession.
Ce régime s’applique aux sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, qu’elles soient cotées ou non, ainsi qu’aux holdings animatrices et sociétés à activités mixtes. Le respect de conditions strictes, notamment en matière de détention des droits de vote et des droits financiers, garantit par ailleurs la stabilité du contrôle de l’entreprise tout au long de la transmission.

En garantissant continuité et stabilité patrimoniale, le pacte Dutreil offre aux héritiers repreneurs la possibilité de poursuivre l’activité familiale sans devoir céder d’actifs pour faire face à la fiscalité successorale, ce qui en fait un outil clé parmi les stratégies de transmission. Toutefois, ce dispositif demeure l’objet de nombreux débats, et une éventuelle réforme pourrait complexifier les règles de transmission, renforçant ainsi l’importance cruciale d’une anticipation rigoureuse.

En définitive, l’arsenal juridique et fiscal offre aujourd’hui aux dirigeants de multiples outils pour transmettre leur entreprise dans des conditions optimisées. Mais cette optimisation ne saurait être improvisée : elle exige une préparation rigoureuse, une analyse attentive des situations personnelles et familiales, ainsi qu’une réflexion sur la combinaison la plus pertinente des outils disponibles.