14062025

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Marché

[Tribune] « L’exil fiscal, symptôme d’un besoin d’accompagnement mieux structuré »

Delphine Colin

Alors que la fiscalité française s’alourdit et que le climat politique se tend, certains envisagent un départ à l’étranger. Pourtant, les chiffres réels démentent la peur d’un exode massif. Et si l’exil fiscal n’était pas une fatalité, mais le signal d’un manque de stratégie ? Dans ce contexte, le rôle des gestionnaires privés change profondément : il ne s’agit plus seulement de protéger, mais de structurer dans la durée, avec discernement, cohérence et indépendance.

 

 

 

 

 

Récemment, parce que la France a été marquée par une instabilité politique inédite - quatre Premiers ministres en quelques mois, une motion de censure, une dissolution, un budget retardé - la tentation du départ gagne certains patrimoines. D’autant que la pression fiscale se renforce : projet de retour de l’ISF à 0,5 % au-delà de deux millions d’euros, création d’un impôt plancher à 2 % au- delà de cent millions, durcissement de l’exit tax avec un horizon porté à quinze ans. Le sujet est brûlant, souvent instrumentalisé, parfois mal compris.

Pas de vague 

Mais la réalité, elle, est beaucoup plus sobre. Moins de 800 départs fiscaux sont enregistrés chaque année selon la DGFIP. Cela représente moins de 0,2 % des anciens redevables de l’ISF. Autrement dit : l’exil fiscal ne s’impose pas comme une vague de fond. Il traduit surtout un malaise diffus, une inquiétude grandissante, une perte de repères. Ce que certains clients cherchent à fuir ne serait donc pas (seulement) la fiscalité : c’est l’incertitude, l’opacité, et l’absence d’anticipation globale.

Le départ à l’étranger est rarement une décision purement rationnelle. C’est un changement de vie majeur, qui implique sa famille, ses enfants, son entreprise, ses attaches culturelles. Déplacer un foyer, restructurer des actifs, reconstruire un réseau… rien de tout cela ne se fait sans heurts. Ce n’est pas un arbitrage fiscal, c’est un bouleversement existentiel.

Solution de dernier recours 

Nous constatons chaque jour que ce qui alimente ce désir d’aller voir ailleurs, c’est moins la fiscalité en elle-même que l’absence d’une stratégie cohérente. Lorsqu’un client se sent seul, sans vision long terme, sans conseil personnalisé, il peut en venir à se convaincre que quitter le territoire est sa seule issue. Pourtant, d’autres options existent pour se rassurer et protéger son patrimoine.

L’assurance-vie luxembourgeoise, les structures internationales ou encore l’accès à des mandats multi-juridictionnels notamment permettent aujourd’hui d’élargir son horizon patrimonial sans délocalisation. Encore faut-il que ces options soient portées, expliquées, articulées.

Le rôle du gestionnaire privé ne doit pas se limiter à une gestion isolée d’enveloppes fiscales. Il est un point d’ancrage et un phare pour son client dans le doute. Et cela suppose un modèle de conseil indépendant, où le temps passé avec le client prime sur les contraintes de structure.

Accompagnement resserré 

Comment rester pertinent quand on gère deux cents foyers ? Lors du mini-krach d’avril, de nombreux clients patrimoniaux se sont plaint de n’avoir reçu aucun appel de leur banque. Dans ces moments-là, ce n’est pas la performance qui compte, c’est la présence et l’écoute. La parole. La lisibilité.

La gestion privée doit reposer sur un accompagnement resserré, agile, réactif, sans silos. A partir d’un certain seuil, au-delà d’une cinquantaine de familles clientes, cela devient impossible. Lorsqu’un choc de marché intervient, les décisions se prennent en un jour, pas dans trois comités successifs.

Une structure agile, intégrée, est capable de faire coter un produit structuré dans la journée, et de le mettre en œuvre dans la quinzaine. Cette capacité de réaction est essentielle : non pas pour aller plus vite que le marché, mais pour ne jamais laisser le client dans le flou.

Sortir de l'approche produit

La question n’est donc pas « faut-il partir ? » Mais « a-t-on tout mis en œuvre pour pouvoir rester ? » Dans un grand nombre de cas, la réponse est non. Le conseil reçu reste trop souvent partiel, influencé, enfermé dans des approches produits ou dans une logique commerciale. Or la fiscalité ne doit pas dicter une rupture de vie.

Elle doit être comprise, anticipée, intégrée dans une trajectoire plus vaste : familiale, culturelle, éducative, entrepreneuriale. L’exil fiscal ne doit pas être un réflexe. Il ne doit surtout pas être un aveu d’impuissance. Nous croyons qu’il est possible, même dans un contexte instable, de construire une stratégie patrimoniale robuste, internationale, durable, sans rompre avec ses attaches. Ce n’est pas en fuyant que l’on sécurise son patrimoine. C’est en le comprenant mieux.