Actualité des sociétés
[Tribune] Trump prépare la future crise financière mondiale
- Jeudi 23 octobre 2025 - 05:49
- | Par Jean-Pierre Rosello, économiste, ex-cadre dirigeant de banque et auteur du livre « Marchés financiers, capital financier et crises systémiques »
Sous l’effet des politiques commerciales et financières erratiques de Donald Trump, l’économie américaine se désarticule. L’industrie et la consommation s’enlisent, tandis que les marchés, stimulés par la dérégulation et la spéculation, semblent ignorer la fragilité de la réalité productive. Une dissociation inquiétante qui rappelle les prémices des grandes crises financières.
Les droits de douanes à géométrie variable instaurés par Trump commencent à produire leurs effets délétères sur l’économie américaine. Sa politique erratique oscillant entre interventionnisme économique et ultra libéralisme financier conduit à une dissociation grandissante entre économie réelle et économie financière.
La fragilité de l’économie « réelle » américaine
La hausse des prix à la consommation, amortie dans un premier temps par la constitution de stocks de produits importés avant taxation, est aujourd’hui portée par l’application effective des droits de douanes et soutenue par la hausse des coûts de production due aux consommations intermédiaires importées par les entreprises américaines. Plus généralement il ne faudra pas compter sur la production intérieure -qui ne dispose pas des chaînes de valeur adaptées - pour remplacer à moindre coût les biens importés et taxés.
Alors que l’économie américaine est fondamentalement tirée par la consommation (70% de son PIB) cette hausse de prix annonce les difficultés à venir. A cela s’ajoute la compression des revenus.
La hausse du chômage accélérée par les licenciements massifs dans les administrations fédérales, les expulsions des travailleurs immigrés ainsi que la réduction drastique des aides diverses aux plus fragiles ne peuvent que contraindre plus encore la capacité de consommation du pays. Certes l’inégalité abyssale de consommation entre les 10% de hauts revenus qui représentent 50% des achats et tous les autres qui se partagent l’autre moitié peut maintenir l’illusion mais, on le comprend, cette situation touche aux limites physiques des uns et aux limites pécuniaires des autres.
La seule dynamique visible de la production semble reposer sur le secteur des services et notamment sur les investissements des entreprises technologiques dans l’IA. Cependant, outre que les supports matériels de ces services sont, pour l’essentiel, fabriqués et assemblés en Asie et en Inde, ce secteur ne contribue qu’à un tiers environ de la croissance du PIB…
Au total le déclenchement d’une guerre commerciale mondiale doublée d’une politique économique erratique s’avèrent d’ores et déjà inutiles voire dangereuses pour l’économie américaine réelle et la conduisent pour le moins à une atonie prolongée…
Par contraste, la sphère financière portée par les bourses et les marchés financiers apparaît florissante.
L’envol de la sphère financière
Trump a instauré une dérégulation financière jamais atteinte.
De la mise en cause de l’indépendance de la FED à la dérégulation bancaire, en passant par l’accès largement ouvert aux fonds d’investissement sur cryptomonnaies et titres structurés volatils ou encore par la création d’une réserve fédérale de bitcoins ; l’ensemble du spectre a été parcouru pour favoriser méthodiquement la montée des fonds les plus spéculatifs (y compris à des fins d’enrichissement personnel et familial) et élargir l’usage de leur utilisation.
L’économie financière la plus rémunératrice mais aussi la plus risquée est désormais en place pour répondre à l’appétit insatiable des investisseurs. Et cet attelage toxique, encouragé par Trump, qui substitue l’appât du gain immédiat à la gestion d’un capital productif de biens et services, accroît le fossé entre opérations financières et économie réelle.
L’existence d’une liquidité abondante consécutive notamment aux politiques monétaires d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) fournit le carburant de cette expansion.
La progression de la finance spéculative
La seule annonce d’investissements substantiels dans l’IA a permis une flambée exceptionnelle des valeurs boursières technologiques, hors de proportion de leur poids dans l’économie réelle.
Les titrisations, c’est à dire la sortie de créances du bilan des banques, leur assemblage et leur vente sous forme de titres à des fonds d’investissement, atteignent, sur le marché américain 14 500 Md$. Cette technique financière n’est pas nouvelle et s’applique pour l’essentiel aux créances issues d’emprunts immobiliers (dont les « subprimes » de triste mémoire faisaient partie).
Mais aujourd’hui, les autres titrisations que sont les CLO (collateralized loan obligation : amalgames d’emprunts d’entreprises moyennes plus ou moins vulnérables) et les ABS (asset backed securities : amalgames de crédits à la consommation, de prêts aux étudiants et de prêts automobile) y représentent plus de 2000 Mds$. Ainsi ces prêts à risques dont, en contrepartie, la rémunération est élevée, sont sortis des bilans bancaires pour en réduire l’exposition et accroître les capacités de crédit et parallèlement proposés aux investisseurs pour satisfaire leur exigence de gains immédiats.
Bien entendu ces produits structurés sont largement diffusés, et depuis août dernier potentiellement accessibles aux fonds de pension, aux assurances et plus généralement à l’épargne privée. Ces produits disposent de leurs marchés de dérivés pour parier sur leur évolution et multiplier ainsi les gains potentiels.
Mais un ou plusieurs défauts de paiement des emprunteurs initiaux, dans cette économie réelle américaine fragilisée, peut intervenir à tout moment, se propager rapidement et largement via la masse des titres émis et le volume de leurs transactions sur les marchés de dérivés. De lourdes pertes frapperaient alors les investisseurs exposés jusqu’à un effondrement à l’identique de celui consécutif à la crise des subprimes en 2007-2009.
L’essor des obligations catastrophe (cat bonds) est une autre manifestation de cette finance purement spéculative. Les compagnies d’assurance émettent ces titres (115 Mds$ en 2024) pour réassurer un risque de catastrophe naturelle en contrepartie d’une juteuse rémunération. Le modèle tient tant que les investisseurs réassureurs ne sont pas appelés pour payer les dégâts. Ainsi le changement climatique devient l’objet d’un pari cynique.
L’émergence d’une finance purement fictive
Les BTC (bitcoin treasury compagnies), en pleine expansion, sont des sociétés dont l’objet est la détention de Bitcoins. Le principe est d’émettre des actions pour financer la détention et l’accumulation de bitcoins. Ces sociétés cotées sont doublement valorisées : par leur actif dont le prix ne cesse de monter et par la valorisation de leurs actions liée à l’accumulation de cet actif. Au-delà de la propriété d’une part de l’actif, un dividende est versé. Ce modèle est bien entendu extensible à toutes les cryptomonnaies.
Les fonds d’investissements sont aussi présents dans l’univers des cryptoactifs. Blackrock, premier gestionnaire mondial d’actifs, actionnaire dans les cinq cent plus grandes entreprises cotées, a ainsi rejoint l’univers des cryptomonnaies en accumulant un montant 800 000 bitcoins dans un ETF dédié. Cette accumulation représente 4% de l’offre totale.
Mais sur quoi repose la valorisation du bitcoin et plus largement de toutes les cryptomonnaies ? Sur rien… sinon la conviction que ces inventions monétaires continueront de valoir toujours plus cher dans l’avenir.
Le volume de bitcoins émis est aujourd’hui d’environ 20 millions d’unités et, selon leurs créateurs, le montant maximum d’émissions sera de 21 millions. Ce qui, au passage, aura donné son caractère éminemment spéculatif au bitcoin. Lorsque cette totalité sera accumulée comment évoluera le cours, sans transactions envisageables, sinon à partir des seules ventes et donc dans le sens d’une perte potentielle et progressive de valeur…
A l’heure où ces lignes sont écrites, en octobre 2025, un léger coup de vent a perturbé la valorisation du bitcoin et des autres cryptomonnaies. Une baisse de 15% équivalent à une perte de 19 Mds$ essuyée entre autres par de petits épargnants…
La mode actuelle des investisseurs sur les marchés financiers est à la « décorrélation ». Ce qui signifie la recherche de placements soustraits de l’évolution potentiellement défavorable des taux, des cours des actions et des cours des obligations…
C’est-à-dire de toutes les représentations financières de l’économie réelle. La valorisation souhaitée n’est plus fondée sur l’évolution économique mais devient le résultat de leur seule croyance… L’accumulation purement financière en est l’unique moteur.
Trump a accéléré la finance spéculative et a institutionnalisé la finance purement fictive éloignant toujours plus la sphère des opérations financières rapides et juteuses de l’économie réelle, celle de la production des biens et services. Se met en place un capitalisme financier cupide et décomplexé, créateur de bulles spéculatives, dont la crise systémique n’est désormais plus qu’une question de temps.