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Le bitcoin, boulet thermique ou soupape électrique ?
- Mardi 1 juillet 2025 - 15:01
- | Par Jonathan Blondelet
Les gestionnaires de réseaux doivent s’adapter à la progression des renouvelables dans les mix énergétiques. Et si le minage devenait, contre toute attente, un auxiliaire de stabilité ? Le cas texan, où l’implantation des fermes va croissante, apporte des éléments de réponse.
L'origine de la panne d’électricité géante qui a touché la péninsule ibérique le 28 avril a longtemps alimenté les spéculations : cyber-attaque, surcharge du réseau… ou excès d’énergies renouvelables. La part d’éolien et de solaire dans le réseau espagnol, qui représente déjà plus de la moitié de l’électricité consommée d’ordinaire, atteignait 70 % juste avant le black-out. The Telegraph a affirmé, en se basant sur des sources bruxelloises, que les autorités espagnoles menaient une expérience pour voir « jusqu’où elles pouvaient pousser la dépendance aux énergies renouvelables ».
Le réseau électrique espagnol REE dément, tout comme un rapport rendu public par le gouvernement le 17 juin, qui attribue la panne aux producteurs d’énergie conventionnelle : un phénomène de surtension aurait entraîné une réaction en chaîne et plusieurs centrales à gaz auraient été déconnectées de façon inappropriée.
Outil de stabilité
Le débat était cependant déjà lancé dans l’écosystème bitcoin, qui présente le minage comme un moyen de remédier aux variations de puissance du réseau électrique et d’optimiser la consommation. « Avoir un mix composé majoritairement de renouvelable non pilotables rend le réseau plus fragile car le temps dont dispose le gestionnaire de réseau pour réagir lors d’une variation de production diminue, au risque de déborder de sa plage de fréquence et de conduire à la détérioration des infrastructures voire à des blackouts », avance Alexandre Stachtchenko, directeur de la stratégie de Paymium.
Le Texas, qui a connu une série de blackouts en 2021 causé par le gel des installations qui ont causé 195 Md$ de dommages, 246 décès et le licenciement du PDG du réseau texan (Ercot), a dû choisir entre deux voies : stabiliser le réseau lors des pics de demande grâce aux centrales à gaz, ou agir sur la demande. Concrètement, il s’agit de rémunérer de grands consommateurs industriels (comme les aciéries) ou des particuliers pour qu’ils réduisent ou arrêtent leurs activités lors des pics de consommation.
Consommateurs idéaux
Problème, les particuliers préfèrent leur confort thermique à la compensation financière. Les industriels, eux, ne peuvent arrêter leur production instantanément, ni de façon prolongée en raison de contraintes techniques et de sécurité. Le nouveau PDG d’Ercot choisit alors de se tourner vers les mineurs de bitcoins, déclinant au passage l’offre de Berkshire Hathaway de construire huit nouvelles centrales à gaz.
« Les mineurs sont des consommateurs idéaux : ils peuvent adapter rapidement leur consommation et ont une capacité d’effacement beaucoup plus forte que les industriels, indique Alexis Boeglin, directeur des opérations de Crypcool. Ercot les indemnise à chaque arrêt de production via des crédits électriques : le KWh non consommé, valorisé à un prix de marché, est déduit des futures factures. » Le choix du Texas d’ajuster la demande plutôt que de moduler la production s’est avéré payant.
Selon le Digital Asset Research Institute (DARI), Ercot a économisé 18 Md$ en s’évitant l’installation de centrales, grâce à cette capacité de charge flexible de 3 GW sur le réseau – pour un niveau d’émissions de CO2 similaire voire inférieur.
Appui scientifique
Une série d’études académiques avalise le minage comme outil de régulation des réseaux, d’absorption des excédents ou de limitation des déperditions (voir encadré).
L’une d’elles, réalisée par l’Université de Cornell, relève que 96 % des fermes de minage alimentées par des renouvelables sont rentables. Pour autant, il n’est pas certain que ces solutions puissent s’appliquer à l’ensemble du secteur, qui pourra difficilement s’épargner une réflexion de fond sur sa consommation. Ercot, qui estime que la demande des fermes de minage atteint celle d’une ville comme Austin (autour de 2 600 MW) et va doubler dans un futur proche, a récemment mis en place de nouvelles règles pour surveiller les centres les plus énergivores.
Il faut rappeler que le minage repose sur la « preuve de travail » (proof of work ou PoW), qui mobilise des fermes de serveurs équipés de cartes graphiques puissantes pour résoudre des problèmes mathématiques complexes. Selon une étude publiée par l’Université de Cambridge de 2025, le PoW accaparait, en 2023, 120 des 130 TWh consommés par les cryptoactifs en 2023. La croissance de cette consommation est alimentée par l’amélioration des performances ainsi que le nombre de mineurs dans l’arène, alors que l’alimentation grignote déjà la moitié de leurs revenus. Deux paramètres auront une influence déterminante sur son évolution.
Transition en chaîne
Premièrement, les « halvings », qui réduisent tous les quatre ans la récompense par bloc de moitié et augmentent la compétition entre mineurs, mais aussi les faillites.
Secondo, le nombre de mineurs présents sur le marché, qui influe sur la difficulté de minage car le protocole s’ajuste en fonction de la puissance de calcul totale du réseau. La « preuve d’enjeu » (proof of stack ou PoS), ou stacking, sur lequel a basculé ethereum en 2022, est à la pointe des algorithmes énergétiquement plus efficients.
Selon la plateforme Digiconomiste, le recours à ce mécanisme de consensus lui a permis de diminuer sa consommation de 99,9 %. Un exemple à suivre ?
Off the grid : A la recherche des énergies perdues Ce n’est pas la première fois que le minage essaye de trouver la parade à son empreinte carbone élevée. Le gaz naturel issu de l’extraction de pétrole, pour lequel il n’existe souvent aucun débouché commercial, est brûlé (torché) pour transformer le méthane en dioxyde de carbone, le CH4 ayant un pouvoir de réchauffement global 28 fois plus élevé. 3,5 % de la production mondiale de gaz naturel est ainsi détruite. « 10 % des producteurs de pétrole ont lancé des expérimentations pour que cette énergie soit récupérée grâce au minage, apprend Alexis Boeglin. Les mineurs valorisent une source d’énergie qui aurait été sinon gaspillée. » La souplesse de déploiement et la mobilité des fermes de minage en font le candidat idéal pour récupérer les 1 500 TWh produits chaque année par le torchage. Sur le papier, bien assez pour annihiler l’empreinte carbone du bitcoin. En 2023, cette source d’énergie représentait 2 à 4 % de la puissance de calcul du réseau, selon une étude du Centre de recherche sur la finance alternative de l’Université de Cambridge. |
« Ramener la problématique du bitcoin à la surproduction énergétique, c’est se concentrer sur un petit cas d’usage »
Trois question à Arnaud Gueguen, ingénieur et contributeur au Shift Project sur le numérique
Quelle est l’empreinte environnementale du bitcoin ?
Le minage d’un seul bitcoin émet 600 tonnes de CO2. Les cryptoactifs au niveau mondial consomment autour de 200 TWH, soit un tiers de toute la consommation des data centers du monde et plus du tiers des 500 TWH par an d’électricité produits annuellement en France. On compare souvent la consommation du bitcoin à celle des moyens de paiements en oubliant les ordres de grandeur : les cryptos représentent moins de 0,5 % des transactions numérisées mais consomment plus que les 95 % de transactions réalisées de manière conventionnelle. Une transaction en bitcoin équivaut à presque un million de transactions VISA en termes de consommation énergétique et 1,8 million en empreinte carbone.
Les énergies renouvelables pourraient-elles un jour être à l’origine d’une panne géante sans une meilleure régulation du réseau ?
La surproduction liée au solaire et à l’éolien existe depuis des années dans ce pays comme en Allemagne ou en Espagne sans qu’aucune panne ne soit survenue. Les grilles de distribution électrique sont faites pour gérer ces problématiques.
Que pensez-vous du minage comme outil d’optimisation d’un réseau électrique dont la production serait majoritairement tournée vers les énergies renouvelables ?
Ramener la problématique du bitcoin à la surproduction énergétique, c’est se concentrer sur un petit cas d’usage qui représenterait 1 % des dépenses énergétiques du bitcoin, en prenant comme hypothèse qu’environ 10 % du minage soit réalisé grâce aux énergies renouvelables non pilotables et une surproduction solaire d’environ six heures par jour pendant six mois (12 % du temps). Et si le minage est réellement dédié à cette surproduction, les centres seraient à l’arrêt le reste du temps, ce qui n’est absolument pas rentable pour les investisseurs. Par ailleurs, l’électricité issue des renouvelables peut être transformée en hydrogène ou stockée, d’heure à heure, grâce aux batteries et bientôt aux véhicules électriques.
Nous allons être confrontés à une contrainte de ressources, il faudra donc choisir quelles sont les priorités pour la production électrique. Le bitcoin est miné essentiellement grâce à l’énergie fossile et génère environ 200 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent d’un pays comme le Qatar. Il produit 20 000 tonnes de déchets électroniques par an et consomme jusqu’à 300 milliards de litres d'eau. Pour quelle utilité économique et sociale ?