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[Tribune] Trump s’en prend d’abord à l’économie et aux citoyens américains
- Jeudi 24 avril 2025 - 17:59
- | Par Jean-Pierre Rosello, économiste, ex-cadre dirigeant de banque et auteur du livre « Marchés financiers, capital financier et crises systémiques »
Si les tarifs douaniers imposés par le président américain ne sont pas un outil de négociation mais un coup d’arrêt au libre-échange, les conséquences pour l’économie américaine seront drastiques, pouvant aller jusqu’à une crise financière systémique.
La lourde augmentation des droits de douane par les États Unis suscite de nombreuses interrogations sur l’ampleur des mesures de réciprocité à prendre. Plus largement les économistes s’interrogent sur les conséquences de telles mesures pour une économie mondiale construite depuis bientôt 30 ans sur le fondement du « libre-échange » dont les États Unis ont été les promoteurs et les principaux maîtres d’œuvre.
Pour saisir les conséquences d’une telle augmentation des taxes douanières, il convient d’en suivre les effets successifs.
Du côté de la consommation
Dans un premier temps, le poids financier de cette taxation sera supporté par les américains eux-mêmes car une part importante des biens de leur consommation courante est importée. De l’avocat au sucre en passant par les vêtements, les produits pharmaceutiques, l’électroménager, les appareils électroniques dont les ordinateurs et les téléphones portables…
Ainsi les droits de douane supposés protéger l’industrie américaine se transforment, dès leur mise en œuvre, en une lourde imposition sur la consommation des ménages par une hausse générale des prix. Les recettes de cette taxation sont censées alimenter le budget fédéral pour, parait-il en réduire le déficit, mais financeront bien plus certainement, au vu des promesses électorales, une nouvelle réduction d’impôts.
En somme un vaste mouvement de prélèvement sur la consommation de tous est organisé au bénéfice des entreprises et d’une minorité, dont l’imposition relative déjà faible, sera encore plus réduite. Donald Trump est devenu le « Robin des bois à l’envers » de la décennie…
Incertitude tarifaire
Parallèlement les marchés boursiers - et non pas les marchés financiers – sont à la peine.
Rien d’étonnant puisqu’ils traduisent les anticipations des investisseurs sur la rentabilité future des entreprises cotées c’est à dire sur leur capacité à vendre davantage et à investir. La vente de leur production future sera réduite par la baisse prévisible de la demande et leurs investissements seront contrariés par l’incertitude tarifaire pesant sur leurs consommations intermédiaires.
La chute boursière a aussi une seconde conséquence, immédiate pour les ménages américains, celle de comprimer drastiquement les actifs des fonds de pensions dédiés aux versements des retraites par capitalisation et de porter atteinte à l’épargne consacrée à l’éducation de leurs enfants. L’effet est cumulatif avec la hausse des prix : Trump met ainsi en cause stupidement et avec un certain cynisme le niveau de vie et l’épargne de la classe moyenne américaine.
Du côté de l’investissement
Dans un second temps, l’application de ces droits de douanes pourrait-elle relancer la production des entreprises américaines ?
L’instauration de droit de douanes ciblés, pénalisant les entreprises étrangères, devrait théoriquement permettre la protection et le maintien des entreprises nationales dont la productivité n’est pas suffisante et le prix des produits trop élevés…. Mais pour les États Unis rien n’est moins sûr et cela pour deux raisons :
-Une majeure partie des biens de consommation courante des ménages américains n’est plus produite aux États Unis. Les filières n’existent plus. Ces biens bénéficient d’un prix attractif grâce à leur coût de production et notamment au faible niveau de salaire des pays producteurs : il est illusoire de penser que les salariés américains se soumettront à ces conditions.
-Les produits dont la filière de production pourrait être « re localisée » aux États Unis connaissent une autre contrainte : celle de l’interdépendance quasi granulaire des chaînes de production, fruit direct du « libre échange ». Cette interdépendance conduit les entreprises à de multiples achats et ventes intermédiaires passant les frontières douanières pour réduire leurs coûts de production. Cette technique de production
est utilisée par toutes les entreprises manufacturières et de services qui constituent la force de l’économie américaine.
Les droits de douane renchérissent donc les consommations intermédiaires hors frontières de toutes les entreprises sans exception, sauf à établir une liste d’exemptions dont on imagine mal l’étendue. Trump vient d’inventer la course à handicap des entreprises américaines.
Effet de contagion
Par ailleurs les entreprises étrangères sont activement invitées à produire et à investir aux États-Unis, mais outre les raisons déjà invoquées, elles auraient besoin pour le décider, d’un environnement stable et d’une visibilité de marché : tout l’inverse du chaos crée par la politique économique erratique menée par Trump.
Pour l’immédiat seuls les marchés boursiers sont touchés mais dans les mois à venir, au fil des difficultés rencontrées par les entreprises et les ménages il est probable que les obligations des unes et les crédits des autres connaissent des difficultés de remboursement.
De même les banques pourraient être confrontées rapidement à des dévalorisations non négligeables de leurs actifs. Par extension les marchés des produits dérivés et ceux des produits structurés seraient touchés…Et dans la mesure où tous les marchés financiers sont interdépendants nous entrerions alors dans l’amorce d’une crise financière d’ordre systémique.
Pour le moment nous ne pouvons que nous féliciter de l’indépendance de la Réserve Fédérale qui peut encore assurer la maîtrise des taux d’intérêt américains et la relative tenue du change du dollar.
Le rapport de force indispensable
Il est malheureusement clair que la culture économique de Trump est équivalente à sa culture générale. L’homme ne connaît que l’intimidation et le rapport de force.
Aussi s’avère-t-il positif que l’ensemble des pays développés - notamment l’Europe- réagissent en déclarant soumettre les États Unis à des mesures réciproques. La fermeté doit précéder la négociation.
La Chine a d’ores et déjà annoncé des mesures de rétorsion équivalentes. Notons que le gouvernement chinois, dans sa première réponse, n’a pas daigné l’exprimer lui-même mais a choisi sa télévision pour l’annoncer. On peut y déceler une certaine forme de dédain.
Pendant ce temps, tout à ses loisirs, Trump parade comme un paon sur son parcours de golf alors qu’Il risque de devenir le dindon d’une farce patiemment assaisonnée par le pouvoir chinois. Ce dernier dispose, en outre, de deux leviers redoutables : les terres rares, dont la Chine détient le quasi-monopole et qui sont indispensables au développement de l’industrie mondiale ; et la maitrise de 20% de la dette américaine dont elle est le second prêteur après le Japon et qu’elle peut, dans un premier temps s’abstenir de financer avec ses conséquences sur le marché obligataire américain…
La fragilité du capitalisme mondialisé
Pour notre part nous voyons dans la guerre tarifaire qui prend forme et les négociations à venir, deux motifs de réflexion.
D’abord la grande fragilité du capitalisme mondialisé et sa dépendance, en dernière instance, aux règles édictées par les États (ou leur regroupement) les plus puissants. Pour le coup, les électeurs américains auront choisi un gouvernement dont la politique irresponsable secoue l’économie mondiale et conduit à sa récession.
Mais, à contrario, cette soumission du capitalisme mondialisé aux décisions politiques ouvre du même coup la perspective d’un possible changement voire d’une transformation de ce mode de production. Il n’est pas exclu - sous pression d’une politique novatrice - qu’à la dérégulation organisée depuis 30 ans puis au brutal coup de frein actuel, puisse succéder une régulation responsable de l’économie.
Les négociations à venir seront à l’évidence contraintes et limitées au maintien du capitalisme financier mondialisé mais supposons qu’elles puissent être conduites pour d’autres objectifs. Elles pourraient tout aussi bien porter sur la décarbonation des économies et sur la préservation de la planète.
Il apparait que le niveau atteint par les forces productives mondiales et leurs interdépendances permettent aujourd’hui cette maîtrise collective.