13102025

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Fiscalité

Le Conseil d’analyse économique démystifie l’exil fiscal

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L’institution s’est emparée du sujet, dont elle démontre qu’il s’agit d’un faux débat. Elle espère recentrer ce dernier sur les autres marges de réponses des hauts patrimoines aux réformes fiscales.

 

 

 

 

Malgré l’absence d’une ébauche de projet de loi de finances, la taxe Zucman n’en finit pas d’agiter les plateaux télés après la chute du gouvernement Bayrou. Ce projet d’impôt porté par la gauche qui ciblerait à hauteur de 2 % les patrimoines supérieurs à 100 M€, y compris professionnels, inquiète à juste titre les entrepreneurs de la tech et leurs sociétés aux multiples élevées… mais loin du seuil de rentabilité. A l’autre bout du spectre, on crie au risque de « nomadisme fiscal » des grandes fortunes vers des territoires fiscalement moins-disant. A raison ?

L’épaisseur du trait

Réponse du Conseil d’analyse économique (CAE), dans une note de début septembre (1) : non. Après s’être penché sur l’ampleur des précédents chocs fiscaux pour les 1 % des revenus du capital les plus élevés (soit 380 000 foyers), l’institution estime qu’une hausse de la fiscalité du capital d’un point entraînerait le départ de 0,003 % à 0,03 % de cette population en un an.

A long terme, 0,02 à 0,23 % de plus s’exileraient. Soit moins de 900 foyers. Même en se focalisant sur le top 0,5 % des revenus du patrimoine, qui dégagent au moins 60 000 euros annuellement, le Conseil ne relève aucune différence de sensibilité.

Le CAE a utilisé comme base de travail les réformes de 2013 (augmentation des prélèvements sociaux, suppression du prélèvement forfaitaire libératoire) que celles du premier quinquennat Macron (instauration du prélèvement forfaitaire unique et remplacement de l’ISF par l’IFI), affectant aussi bien les revenus générés par le patrimoine que le patrimoine détenu.

Les réformes de 2013 avaient entraîné une hausse de 0,04 à 0,09 point de pourcentage du taux de départs nets pour les individus les plus affectés par la réforme. A l’inverse, celles de 2017-2018 ont entraîné une baisse des départs nets de 0,01 à 0,07 point de pourcentage. « Ces effets restent cependant modestes en valeur absolue : une hausse des départs nets de 0,09 point de pourcentage (borne haute) parmi le top 1% des revenus du capital correspond à l’expatriation de moins de 350 foyers fiscaux par an sur les 385 000 que compte le top 1% », écrit l’institution.

Un vide…

Ces départs, aussi restreints soient-ils, ne sont pas indolores pour autant. « La population touchée représente 20 % du tissu économique, développe Nicolas Grimprel, économiste au CAE. Le départ d’un actionnaire majoritaire peut avoir un impact important sur les entreprises détenues. »

Les sociétés concernées voient leur chiffre d’affaires baisser immédiatement de 25 %, puis de 15 % dans la durée, concomitamment à une baisse d’un tiers de la valeur ajoutée. Résultat : un quart d’emplois en moins dans le périmètre initialement contrôlé par l’actionnaire.

… En partie comblé

Le tableau final n’est cependant pas si sombre, une fois pris en compte les effets de réallocation ou d’équilibre. Le CAE, en se penchant sur le cas suédois où une étude comparable a été menée, remarque que la majorité des entreprises (60 %) sont rachetées ou réintégrées dans d’autres firmes.

« En Suède, les effets sur la masse salariale sont deux fois plus faibles après réintégration », précise Camille Landais, économiste au CAE. Les externalités négatives sur l’économie régionale sont également négligeables, la part des entreprises concernées qui détiennent plus de 10 % de leur marché local étant inférieure à 5 %.

Rendement rachitique

La plus grosse problématique tient au rendement réel de l’impôt comparativement au rendement annoncé en raison des comportements d’évitement. Le CAE a calculé que pour chaque euro de recette supplémentaire provoqué par une hausse de la fiscalité sur les hauts patrimoines, 20 centimes disparaissent du fait des réponses comportementales dites « à la marge extensive », soit l’exil fiscal, et 54 centimes liés à la « marge intensive », qui tient à l’optimisation et l’évasion fiscales (sans exil). Difficile de savoir si ces pertes sont « provisionnées » lors des annonces fiscales de Bercy.

L’empreinte du patrimoine

A travers cette étude, pour laquelle le CAE s’est autosaisi, l’institution nourrit l’espoir que le débat soit recentré sur les autres réponses que l’exil aux hausses de la fiscalité du patrimoine. Un bémol cependant, l’étude se concentre sur la fiscalité du patrimoine, et non du revenu, pour laquelle les résultats auraient été bien différents.

« Les hauts patrimoines sont peu mobiles par rapport aux hauts revenus, notamment dans les secteurs financiers, par nature plus mobiles, fait remarquer Nicolas Grimprel. Le taux de retour comme les départs nets sont plus faibles. Il existe un gradient avec l’âge, le capital est une empreinte sur le territoire dont on ne se débarrasse pas comme si on était trader ou sportif, consultant, avocat... » ou start-uppeur.

(1) « Fiscalité du capital : quels sont les effets de l’exil fiscal sur l’économie », focus n°118, juillet 2025