Fiscalité
La France bannit l’anonymisation des cryptoactifs
- Mercredi 7 mai 2025 - 19:36
- | Par Jonathan Blondelet
Définitivement adoptée fin avril, la proposition de loi contre le narcotrafic introduit une présomption de blanchiment pour toute utilisation de technologies d’anonymisation dans les cryptoactifs. Alors que l’Europe va dans la même direction, l’écosystème crypto s’inquiète des conséquences.
L’Assemblée national et le Sénat ont adopté en lecture définitive, fin avril, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
L’amendement sénatorial prévoyant que la présomption de blanchiment soit étendue dans le Code pénal aux « mixeurs » de cryptoactifs a été retenu par la commission mixte paritaire. Elle portera sur toute opération effectuée « au moyen d’un cryptoactif comportant une fonction d’anonymisation intégrée ou au moyen de tout type de compte ou de technique permettant l’anonymisation ou l’opacification des opérations en cryptoactifs ».
Portée floue
En pratique, ce renversement de la charge de la preuve permettra à la justice de présumer que les capitaux détenus de façon occulte sont d’origine illicite.
Les acteurs de la sphère crypto, inquiets, s’interrogent sur la portée du dispositif. « La plupart des bonnes pratiques de sécurité, comme le changement d'adresse à chaque paiement, pourraient être considérées comme des tentatives d'opacification, s'inquiète Alexandre Stachtchenko, directeur de la stratégie de Paymium.
L'usage de réseaux de paiements secondaires, comme lightning network pour bitcoin, permettent aussi de gagner en confidentialité : vont-ils être interdits ? »
LCB-FT étendue
Un autre ajout du Sénat prévoyait de créer une procédure administrative de gel des fonds des narcotrafiquants qui se calquait sur celle de gel des avoirs en matière de lutte contre le financement du terrorisme. L’amendement a été supprimé lors du passage en commission mixte paritaire.
De nouvelles professions rejoignent celles déjà assujetties à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT) : les promoteurs immobiliers, les vendeurs et loueurs de voiture de luxe, de jets ou de yachts, les marchands de biens ainsi que certains clubs de football professionnels. Ils devront eux aussi reporter toute opération suspecte à Tracfin, qui voit ses capacités de collecte du renseignement étendues.
Un règlement dit « AMLR » (1), pilier du paquet LCB-FT de l’Union européenne (UE), va dans la même direction en ajoutant à cette liste les prestataires de service sur cryptoactifs (PSCA). A partir de 2027, il leur sera interdit de conserver ou gérer des comptes anonymes, de même que ceux permettant d’anonymiser des transactions.
Contradiction avec le RGPD ?
Le cheval de bataille qu’a choisi d’enfourcher l’Union européenne, la transparence à tous crins, paraît cependant contradictoire avec les récentes lignes directrices proposées par le Comité européen de la protection des données (EDPB). Dans sa mission de faire respecter le Règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD), l’institution a remarqué que la blockchain constitue une sérieuse entrave au droit à l’oubli : de par la nature même de son mode de stockage, les données présentes ne peuvent être effacées.
Pourtant, dans ses guidelines, le comité souligne que l'impossibilité technique ne peut être invoquée pour justifier le non-respect des exigences du RGDP. Parmi les solutions proposées, anonymiser les données avant leur inscription sur la blockchain, ce qui est possible grâce à certains tokens ou services… comme des mixeurs de cryptoactifs.
« Ces lignes directrices qui imposent d’anonymiser les données présentes sur la blockchain sont logiques, mais incompatibles avec une réglementation financière complètement démesurée, fait remarquer Alexandre Stachtchenko. Si elles étaient adoptées, cela reviendrait à une interdiction de fait du bitcoin dans l’Union européenne, car il serait impossible d'être simultanément conforme à toutes les règles européennes. »
(1) Règlement (UE) 2024/1624 du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme