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Gestion de Fortune n° 342 - Janvier 2023

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L'Edito de Jean-Denis Errard

 Odeur de sapin

Comment vont réagir les épargnants lorsqu’ils vont recevoir leurs relevés d’assurance vie 2022, avec des rendements en euros encore et encore à 1-1,5 %, face à une inflation cinq ou six fois supérieure ? D’autant qu’avec la forte remontée des taux longs, on peut dorénavant acheter des obligations d’entreprise ou des fonds obligataires datés avec des performances bien meilleures. Quand l’inflation était quasi indolore, ce qui était le cas depuis 60 ans, cette question n’avait pas d’importance. Mais aujourd’hui, cette inflation, contrairement aux déclarations incantatoires des responsables politiques et économiques, ne risque pas de baisser à court terme !

Les derniers chiffres de la Banque de France montrent une nette décollecte sur les assurances vie en euros : -4,9 M€ au 1er trimestre 2022, -3,4 au 2e, -2,6 au 3e. Les souscripteurs semblent arbitrer vers des unités de compte boursières – en structurés – et immobilières ? C’est probable, puisque le flux vers ces UC est très soutenu : 12,6 M€ au 1er trimestre 2022, 11,7 au 2e, 5,8 au 3e. Il est prévisible aussi que les souscripteurs vont se laisser tenter par des solutions plus performantes que ces fonds en euros aujourd’hui spoliatrices par rapport à l’inflation. Seule l’exonération fiscale tient lieu de digue face à l’envie d’aller voir ailleurs. Encore que ! Car cette exonération est très limitée après 70 ans.

Le risque est évidemment important de voir des épargnants sortir de leurs vieux fonds euros plombés par des portefeuilles investis en obligations à taux nul ou très faible, forçant ainsi des assureurs à vendre à perte une partie de leurs actifs. Ces assureurs vont devoir piocher un complément de rendement dans leur provision pour participation aux bénéfices pour refreiner les rachats !

Et comment réagiraient les Français, si un ou des assureurs audacieux et avisés lançaient maintenant un fonds en euros investi en nouvelles obligations d’entreprise, dont les émissions peuvent facilement dégager aujourd’hui un rendement de 3 à 6 % net avec une garantie du capital ? Des émissions à haut rendement sont même aujourd’hui à plus de 10 % !

L’éventualité d’une déstabilisation autrefois imaginée par les autorités n’est plus si théorique. La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite Loi « Sapin 2 », permet au Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), entre autres pouvoirs, d’intervenir pour réguler une « décollecte massive » (expression utilisée par le Conseil constitutionnel pour valider cette atteinte au droit de propriété sur l’épargne). Précisément, inséré à l'article L. 631-2-1 du code monétaire et financier, une disposition permet de bloquer les valeurs de rachat temporairement – six mois au plus – ainsi que les arbitrages au sein des assurances vie, ceci pour certains assureurs ou l’ensemble. Oui, ce risque n’est plus du tout théorique.

Bonne année quand même !