13112024

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Vers un nouvel impôt mondial sur la rente ?


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L’impôt mondial sur les sociétés donne des idées aux pays qui promeuvent une plus grande justice fiscale. Taxation des superprofits, impôt sur la fortune ou les successions… Les idées fusent, mais sont-elles applicables en pratique ?

 

 

 

 

C’est une petite musique qui monte en ces temps de crise. Après la création d’un impôt mondial minimum sur les multinationales, pourquoi ne pas tenter la même chose avec les « superprofits » ou ménages les plus fortunées ?

C’est en tout cas l’idée que la présidence brésilienne du G20 essaye de pousser pour réduire les inégalités à l’échelle mondiale. « Sans une amélioration de la coopération internationale, ceux qui sont tout en haut continueront à trouver le moyen d’éviter les systèmes de taxes existants », a plaidé mi-avril le ministre des Finances brésilien Fernando Haddad lors de réunions de la Banque mondiale et du FMI.

La France pour un impôt mondial sur la richesse

Selon certains économistes, cet impôt serait techniquement facile à mettre en place et pourrait rapporter gros. L’ONG Global Citizen estime qu’une taxe annuelle de 2 % sur le patrimoine des 3 000 personnes les plus riches ferait rentrer jusqu’à 250 Md€ dans les caisses des Etats et permettrait de financer la transition climatique.

Alliée surprise du Brésil, la France s’est jointe à l’initiative. Bruno Le Maire a affirmé que la « juste fiscalité internationale » était au cœur de la politique économique du pays depuis sept ans.

Il a rappelé l’engagement de la France concernant l’accord supervisé par l’OCDE sur la mise en place d’un taux d’imposition effectif minimum mondial, dont l’un des piliers met en place une imposition minimum de 15 % pour les multinationales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 M€.

Bien que cet accord soit entré en vigueur début janvier, il ne marche que sur une jambe, car les modalités de l’application de l’autre pilier de ce système sont toujours en cours de discussion. Celui-ci doit cibler les très grandes multinationales qui réalisent plus de 20 Md$ de chiffre d’affaires afin de redistribuer de l’impôt aux pays où elles le réalisent. En réaction à cette absence d’avancées, la France a mis unilatéralement en place une taxe sur les Gafam, qui doit rapporter 800 M€ en 2024.

Un peu plus que la taxe sur les superprofits - ciblant spécifiquement les énergéticiens - et ses 300M€ de recettes dont le résultat est à des années-lumière des 12,3 Md€ initialement escomptés en raison de la chute des prix de l’électricité.

Adhésion populaire massive

Toujours en France, deux propositions de résolution européenne visant un objectif similaire ont été récemment déposées à l’Assemblée nationale. La première, portée par les socialistes, veut créer un impôt européen sur la grande fortune. La deuxième vient des communistes qui demandent à mettre en place un prélèvement « exceptionnel, progressif et temporaire sur le patrimoine des contribuables les plus riches », dont le montant et la durée serait fonction du coût des investissements publics nécessaires pour la transition écologique (813 Md€ par an au niveau européen selon le cabinet I4CE).

Si l’essai sera difficile à transformer, l’adhésion populaire est massive : 8 Français et 8 Européens sur 10 considèrent les différences de revenus trop importantes et estiment que leur gouvernement devrait faire davantage pour réduire cet écart.

Différencier la rente du retour sur investissement

« La rente qui n’est pas liée aux efforts nécessaires pour avoir un retour sur investissement doit pouvoir être prélevée davantage, mais sans influencer négativement les investissements, fait valoir Pascal Saint-Amans, professeur à HEC et ancien directeur du centre politique et d’administration fiscale de l’OCDE. C’est une cible plus pertinente que les revenus, dont la taxation peut aboutir à une désincitation au travail ou à l’investissement. »

Celui qui a notamment travaillé sur le phénomène d’érosion de la base d'imposition et de transfert des bénéfices (EBTB), à l’origine de la taxation mondiale sur les sociétés, exposait lors d’une conférence de presse son analyse sur les débats autour d’un nouvel impôt global.

« La rente va souvent de pair avec une situation d’exception, qui résulte de chocs extérieurs, à l’image de la rente énergétique que tous les pays de l’Union européenne ont voulu taxer, poursuit Pascal Saint-Amans. Elle doit être créée par une situation de pénurie plutôt que par l’efficacité économique : une domination des sacs Chanel sur le marché du luxe ne privatise pas l’intérêt général. »

Harmonisation plutôt que création

Un deuxième écueil à éviter, une fois l’objet défini, porte sur le périmètre. Les enseignements de l’impôt mondial sur les sociétés sont ici précieux : c’est parce qu’une masse critique de pays connaissent déjà cet impôt et appliquent le minimum décidé par l’accord que celui-ci peut fonctionner, suivant un principe d’harmonisation. « La Barbade, les Bermudes ou les Emirats-Arabes Unis sont en train de changer de braquet, sachant que si l’impôt n’est pas prélevé chez eux, il le sera quand même sans leur bénéficier », assure le professeur en économie.

Dupliquer ce mécanisme pour créer un impôt mondial sur la fortune serait plus complexe, car il est beaucoup moins présent nationalement que l’impôt sur les sociétés. Il ne s’agit donc plus d’harmoniser des frottements fiscaux internationaux déjà existants, mais de convaincre chaque Etat de créer son ISF au préalable.
« Un ISF mondial est un bon slogan politique mais je ne le vois pas advenir avant 50 ans, juge Pascal Saint-Amans. Mieux taxer les successions serait une autre solution, mais même ceux qui ne sont pas concernés détestent ce qui est pourtant un impôt de justice fiscale. »

Débat porté à l’ONU

Dernière option, déjà mise en place par les Etats-Unis : imposer non pas en fonction de la résidence mais de la nationalité. Une « fausse bonne idée » qui impliquerait de renégocier les 120 conventions fiscales de la France reposant sur le concept de résidence fiscale, sans disposer de la même force de persuasion que l’Oncle Sam.

Le débat est cependant loin d’être clos : l’ONU a créé un comité ad afin de préparer les termes de référence d’une convention cadre sur la coopération fiscale internationale. Le rendu de copie est prévu pour août 2024.