08012025

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Actualité des sociétés

« L’action contre Orpea va-delà du simple dédommagement »


Portrait Kevin RomanteauKevin Romanteau, fondateur du Collectif des investisseurs d’Orpea et de Whitelight Capital, a lancé une action collective d’investisseurs contre l’ancien conseil d’administration d’Orpea, rebaptisé Emeis en 2024. Il veut faire reconnaître ses manquements mais aussi s’imposer comme le fer de lance d’un nouvel activisme actionnarial.

 

 

 

 

 

Pouvez-vous expliquer votre démarche contre Orpea ?

Kevin Romanteau : Orpea est un cas concret de ce qui arrive lorsque la gouvernance d’une entreprise est défaillante. Des décisions de réduction des coûts, comme le rationnement des repas, ont non seulement compromis la dignité des résidents mais aussi conduit à une perte de confiance massive.

Ce litige est une première en la matière : 504 investisseurs nous ont rallié, il s’agit de l’une des « class action » les plus importantes en France.

Notre plainte vise l’ancien conseil d’administration d’Orpea pour manquement. Celui-ci doit représenter les investisseurs et s’assurer que le management soit conduit de façon diligente, ce qui n’a pas été le cas : après la publication du livre « Les fossoyeurs », le cours de bourse a chuté de plus de 100 % et les résidents ont été impactés. Le board aurait être alerté des marges supérieures aux compétiteurs, ce qui n’a pas été le cas.

Nous assignons également le cabinet Deloitte, déjà mis en cause dans les affaires Atos et Casino, en raison des informations erronées présentes dans les comptes qu’il a certifiés.

Comment évaluez-vous vos chances de gagner ?

K.R : Le cabinet Bruzzo Dubucq a déjà gagné des actions contre les Gafam, dont la condamnation d’Apple pour violation du RGPD. Tous les éléments évoqués dans le livre seront autant d’arguments que nous allons apporter au procès. Par ailleurs, certains investisseurs étaient des anciens directeur d’Ehpad, parfois d’établissements d’Orpea qui auront des éléments à nous communiquer, sur la véracité financière des éléments communiqués.

D’abord, il s’agit d’obtenir réparation des préjudices en justice pour les investisseurs lésés. Mais cette action va au-delà d’un simple dédommagement : elle vise à créer un précédent et à renforcer les standards de gouvernance. L’affaire Orpea est une opportunité de transformer une crise en levier de changement. Elle nous rappelle l’importance d’une gouvernance transparente, responsable et orientée vers l’intérêt collectif.

Les dérives du secteur de la santé restent dans la mémoire collective et nous voulons reconstruire sur de bonnes bases, de façon à attirer des capitaux sur la place de Paris. La France a un problème de gouvernance : les investisseurs étrangers expliquent souvent que la France est un « club » dont il faut faire partie pour pouvoir y investir.

Selon l'ONU, d'ici 2050, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus devrait doubler, atteignant 1,5 milliard. En France, 1 personne sur 3 aura plus de 60 ans d'ici 2040.

D'ici 5 ans, notre pays aura besoin de 108 000 lits supplémentaires en maisons de retraite, et 211 000 d’ici 15 ans pour accueillir un total de 930 000 résidents. Le vieillissement de la population n'est pas seulement un défi, c'est une opportunité pour repenser nos modèles économiques et sociaux.

Ce n’est pas la première fois que les dégâts de la logique du privé sur le secteur social et médico-social sont documentés : le journaliste à l’origine des « Fossoyeurs » dépeint un tableau similaire dans « Les Ogres », qui documente les maltraitances dans les crèches privées. La recherche de rentabilité est-elle conciliable avec la prise en charge décente des usagers ?

K.R : LNA Santé, un plus petit acteur des maisons de retraite, se porte très bien. Quand Orpea et Korian ont chuté de 100 %, elle n’a perdu que 50 % de sa valeur.

Son taux d’occupation est l’un des plus résilient du secteur, et est maintenant proche de son niveau de 2019 (95%) devant Clariane (91%) and Emeis (85%). Sa marge d’Ebitda atteint les 9,1 %, tandis que celle de Clariane s’effondre.

La société offre des soins à la journée pour désengorger les hôpitaux : l’absence l’hébergements diminue ses coûts. Cette activité, sur laquelle Orpea ne s’est jamais positionnée, représente 14 % de ses revenus. Il faut réfléchir à des segments générateurs de valeur qui diminue la charge pour la Sécurité Sociale, ainsi qu’à un modèle plus tourné vers l’autonomie que la prise en charge intégrale à l’Ehpad.

Par ailleurs, Orpea détient son immobilier, ce qui est rassurant pour certains investisseurs mais mobilise beaucoup de capitaux alors qu’LNA Santé fonctionne avec un système de lease-back. Elle se décharge de la gestion immobilière pour se focaliser sur l’aspect opérationnel.

Dès qu’on est trop centré sur la démarche financière, on promet toujours plus de rentabilité en compressant les charges. Une situation comparable à un LBO qui met trop de dette sur la société en coupant dans les charges, à tel point qu’à la fin elle ne peut plus générer de rentabilité.

Avez-vous une idée du calendrier ?

K.R : La date de prescription pour déposer notre dossier était le 25 janvier, aussi avons-nous mis une date butoir pour ceux qui souhaiteraient rejoindre notre action au 8 janvier. La procédure prendra entre 24 à 36 mois et sera probablement traité par le Tribunal de grande instance de Paris.

Comment sera évalué le préjudice si vous l’emportez ?

K.R : Le préjudice sera propre à chaque individu avec un dossier déposé par un investisseur. Nous allons déterminer une fourchette en fonction des dates d’achat d’actions et du prix de revient, afin de déterminer un dommage suivant la notion de perte de chance : si l’investisseur avait eu connaissance en amont de ces informations, il aurait investi sur d’autres classes d’actifs.

Pourquoi n’engagez-vous pas la même démarche à l’égard du groupe Korian ?

K.R : Il faut des éléments de preuve avant d’assigner. L’enquête de Victor Castanet sur Orpea en apporte un certain nombre, ce qui n’est pas le cas pour Korian.

Comment en êtes-vous arrivé à fonder le Collectif des investisseurs d’Orpea ?

K.R : En 2017, j’ai publié un rapport « The Golden Age of Shareholder Actism Investing » qui m’a donné un pont pour conseiller le ministère de l’Economie et des Finances, tout en travaillant en banque d’investissement en parallèle.

Je les conseillais sur les moyens de se défendre contre les activistes, jusqu’à basculer de l’autre côté de la barrière. Whitelight Capital, à travers l’activisme social, souhaite redonner à la finance ses lettre de noblesse, notamment sur la place parisienne.

Le cas Orpea a montré que lorsque les décisions sont prises sans consultation des premières lignes – ici les salariés – les conséquences peuvent être désastreuses. Nous croyons fermement que pour redonner du sens à l’activité de ces équipes, il est essentiel de les intégrer dans le processus de décision.

En tant qu’actionnaires, nous avons la responsabilité de rappeler que la finalité d’une entreprise dépasse les chiffres. En exigeant une gouvernance plus inclusive, nous montrons qu’il est possible de concilier impact social et performance économique.