Fiscalité
[Tribune] La rétroactivité fiscale : méfaits générateurs
- Mardi 4 mars 2025 - 11:16
- | Par Georges Nemes, président du groupe Patrimmofi
La « petite rétroactivité » place en porte-à-faux l'assurance vie, les investissements immobiliers ou la rémunération des dirigeants. Elle créée un environnement d'instabilité fiscale qui porte atteinte au contrat social.
La France vient d’accoucher d’une nouvelle loi de finances pour 2025, et déjà les premiers signes d’une crise post-partum se font sentir. Au cœur du débat, la possibilité pour le législateur de changer les règles du jeu en cours de partie, au nom de « l’intérêt général ».
Proscrit par la Constitution en matière pénale, une forme de rétroactivité que l’on appelle la « petite rétroactivité » est admise en droit fiscal, à doses homéopathiques, lorsqu’elle colle au fameux fait générateur de l’impôt, c’est-à-dire l’événement précis qui déclenche la taxation : la cession d’un bien, la perception d’un revenu, la clôture d’un exercice, ou encore, le décès de l’assuré dans un contrat d’assurance vie.
L’assurance vie
Produit vedette du patrimoine des Français avec ses 2200 milliards d’euros d’encours, les avantages fiscaux de l’assurance-vie sont pourtant censés être gravés dans le marbre à la souscription, même si à plusieurs reprises (en 1991 et 1998), la loi a modifié les abattements ou les taux au détriment des bénéficiaires - et ce, avec effet immédiat pour les décès intervenus dès la publication du texte concernant les nouvelles souscriptions et les versements complémentaires postérieurs. Nous avons de ce fait conservé plusieurs régimes fiscaux en assurance-vie suite à ces modifications. Cela a permis de sauvegarder la fiscalité de la transmission et des plus-values pour les capitaux versés antérieurement aux nouvelles lois fiscales.
Depuis quelques mois, les coups de butoirs contre le régime dérogatoire de ce placement en matière de fiscalité des successions, se font plus nombreux. Députés, Cour des comptes, Conseil d’analyse économique (CAE),etc., nombreux sont ceux qui voudraient avoir sa peau.
Mais cette fois-ci, il n’est plus question de créer un nouveau régime pour les investissements à venir mais de viser tous les capitaux qui ont été accumulés, en parfaite légalité et de bonne foi, par les Français depuis de nombreuses décennies.
Dans le cas de l’assurance-vie, le fait générateur étant la mort de l’assuré, on comprend la gravité d’une éventuelle modification rétroactive du taux ou de l’assiette applicables : au moment où survient ce fait, aucune possibilité pour l’assuré ou les bénéficiaires de se préparer, d’ajuster leurs choix ou d’optimiser légalement leur fiscalité. Autrement dit, la rétroactivité soudaine pourrait frapper de plein fouet des familles déjà endeuillées, sans qu’aucun arbitrage préventif n’ait pu être fait.
Les investissements immobiliers
Autre - demi - surprise pour les investisseurs immobiliers, après les meublés touristiques, c’est au tour du statut de loueur en meublé non professionnel (LMNP) d’être pénalisé par un durcissement fiscal inattendu. Plus de 600 000 investisseurs, qui avaient fait confiance à un cadre stable, voient leurs avantages remis en cause.
Le seuil du micro-BIC pourrait être drastiquement abaissé, réduisant l’abattement fiscal, tandis que l’amortissement, élément clé de la rentabilité, est menacé. Beaucoup risquent de basculer vers le régime de loueur en meublé professionnel (LMP), bien plus contraignant. Une nouvelle fois, l’État change les règles du jeu en cours de partie, fragilisant l’investissement locatif et aggravant la crise du logement qu’il prétend résoudre.
La fiscalité des dirigeants d’entreprises
Pour le citoyen, pour l’épargnant mais aussi pour les entrepreneurs, l’application à effet immédiat des modifications de la fiscalité s’apparente à un coup de théâtre permanent.
Du côté des start-up et des fonds d’investissement, les dirigeants signent souvent des « management packages », autrement appelé stock option ou BSPCE (option sur titres), dont la fiscalité (flat tax de 30 %, sauf pour les revenus soumis à la CEHR), se révèle plus clémente que des salaires classiques, avant de voir la loi ou la doctrine administrative requalifier les plus-values en salaires, parfois rétroactivement.
L’argument ? Certains gains ne relèveraient pas de la simple spéculation sur une valorisation future de l’entreprise mais d’une rémunération déguisée. Dans cette logique, on assiste à une « petite » rétroactivité qui pèse lourd : si l’événement déclencheur (cession d’actions ou perception du gain) a déjà eu lieu, la fiscalité peut tout de même changer après coup, alimentant un climat d’insécurité qui dissuade l’investissement et l’entrepreneuriat.
Finalement, l’attractivité des contrats proposés en France se voit plombée, et c’est tout l’écosystème de l’innovation qui en pâtit.
Taxe sur la fortune
Quant à une éventuelle « taxe sur la fortune » de type Zucman, visant à frapper le patrimoine plutôt que le revenu, elle nourrit déjà les fantasmes. Certains s’inquiètent d’un effet rétroactif : imaginer que les investisseurs vont s’empresser d’optimiser leur situation fiscale dès l’annonce de la taxe pourrait inciter le législateur à la dater rétroactivement du 1er janvier… alors qu’elle n’a pas encore été votée !
Résultat : une fuite en avant où chacun ne pense qu’à se protéger contre un passé « ressuscité ». On nage en pleine confusion, au détriment de la stabilité économique.
Comme le résume Patrick Martin, président du Medef : « On assiste actuellement au concours Lépine de la créativité fiscale ».
La question n’est pas de refuser toute réforme fiscale : on comprend la nécessité de financer les dépenses publiques et de lutter contre les abus. Mais la rétroactivité est la ligne rouge qui fait vaciller la confiance. Taper au porte-monnaie pour remplir les caisses, c’est une chose ; le faire « après coup », c’est une rupture du contrat social.
Et dans un monde ouvert et concurrentiel, il n’y a rien de pire que l’incertitude pour décourager l’initiative et l’investissement.