16052025

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LCB-FT : la grande incompréhension

question interroger doute

L’approche par les risques imposée par cette réglementation conduit chaque établissement financier à prévoir son propre jeu de règles, au risque de creuser l’abîme entre les intermédiaires qui doivent les appliquer et la clientèle qui s’en trouve étouffée. Le Comité consultatif du secteur financier pousse pour plus d’harmonisation et de pédagogie.

 

 

 

 

 

« Incompréhensions », « insatisfactions », « sollicitations jugées trop fréquentes ou redondantes »… Les mots ne manquent pas pour décrire la réception de la réglementation par la clientèle des institutions financières de la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

1 870 Md€ d’argent sale

Issus d’un rapport (1) de la présidente du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), ils permettent de saisir la difficulté des professionnels à faire comprendre le bien-fondé de leurs obligations face à des enjeux pourtant immenses : 210 Md€ de capitaux sont concernés en Europe, 1 870 Md€ à l’échelle mondiale.

« Les institutions financières jouent un rôle clé dans la prévention de ces phénomènes et doivent, dans ce cadre, recueillir des informations sur leurs clients afin d’évaluer les risques liés à chaque relation d’affaires et surveiller les opérations pour en détecter d’éventuelles anomalies », rappelle le document élaboré avec le soutien de la Fédération bancaire française (FBF). Celle-ci a, dans un communiqué, souligne « l’ampleur des dispositifs de conformité déployés quotidiennement par les banques », pour un coût estimé par le cabinet Forrester à plus de 25 Md$ dans le secteur financier en France.

Poil à gratter

Mais de cela, les clients n’en ont cure, se heurtant plutôt au formidable irritant que constituent les systèmes de suivi et de vérification des fonds. Le dénouement d’une assurance vie constitue souvent un sujet de crispation lorsque l’assuré - d’autant plus lorsqu’il est à l’origine des sommes versées au contrat – doit justifier du remploi des fonds pour permettre leur libération.

« Les agents généraux sont impuissants, tenus par l’interprétation de la compagnie, fait remarquer Grégoire Dupont, directeur général de la Fédération des agents généraux (Agéa). Ils en arrivent ironiquement à se demander si les assureurs veulent garder les fonds ou s’ils sont traumatisés par leur service conformité ?» Les intermédiaires se heurtent bien souvent à un service conformité tout puissant dont les décisions outrepassent même celles du service juridique, avec pour objectif d’écarter à tout prix le risque pénal qui pèse sur le mandataire social, quitte à compromettre la relation d’affaires.

Latitude d’interprétation

Le problème pourrait venir de la latitude accordée à chaque acteur dans la mise en œuvre de la réglementation. Le rapport souligne que la nature des informations demandées est variable et « dépendante de la politique de risque de chaque établissement » puisque la mise en œuvre de la politique LCB-FT repose sur une approche par les risques.

« La difficulté de fond réside dans le fait que les textes ne donnent que des objectifs généraux, et les organismes financiers fixent leurs règles internes suivant une approche par les risques pour tracer la destination des fonds, poursuit Grégoire Dupont. Or, l’ACPR refuse d’en poser une définition et chaque organisme doit élaborer la sienne selon sa clientèle, son historique… Une liste aussi basique que celle des documents justificatifs n’existe même pas. »

Schizophrénie réglementaire

Le problème est réel aussi pour les petits intermédiaires, qui doivent mettre en œuvre une politique LCB-FT et une classification des risques adaptée à leur activité de CIF ou d’IAS, sans disposer du service conformité d’une grande entreprise. « Les CGP soulignent qu’ils relèvent de quatre activités réglementées soumises à la supervision de plusieurs autorités différentes (ACPR, AMF) qui n’ont pas forcément les mêmes règles dans la mise en œuvre des obligations règlementaires de LCB/FT », relève le rapport.

Et même les courtiers qui appliquent le processus d’entrée en relation imposé par une compagnie ont tôt fait de susciter l’incompréhension chez leur clientèle, puisque plusieurs contrats peuvent être souscrits chez différents assureurs en parallèle, avec à chaque fois une procédure spécifique et autant de justificatifs à fournir.

Simplifier et formaliser

La présidente du CCSF, Catherine Julien-Hiebel, adresse plusieurs propositions à Bercy pour améliorer l’exercice des obligations réglementaires en matière de LCB-FT. En premier lieu, mettre en place un suivi formalisé pour appréhender le phénomène avec précision - car les indicateurs chiffrés manquent – en suivant les réclamations et analysant les insatisfactions.

Le rapport invite à simplifier le recueil et l’actualisation des données de connaissance client, en mutualisant les données entre professionnels assujettis, en fiabilisant notamment le registre des bénéficiaires effectifs et l’information disponible concernant les personnes politiquement exposées (PPE). « La sphère publique est incapable de mettre à disposition une liste de ces personnes, pointe Agéa. De même, l’outil d’identification des bénéficiaires effectifs des entreprises, associations, trusts et autres personnes morales n’est pas optimal. »

Sensibiliser et éduquer

L’amélioration de l’outillage des professionnels doit cependant aller de pair avec une plus grande sensibilisation des clients. Ce que Catherine Julien-Hiébel veut faire dès leur plus jeune âge, en intégrant la thématique LCB/FT dans le cadre de la stratégie nationale d’éducation économique, budgétaire et financière (Educfi).

Elle propose également de renforcer la pédagogie au niveau des réseaux de distribution, « que ce soit lors de l’entrée en relation (par exemple par la remise au client de documents explicatifs, institutionnels ou non, ou une présentation pédagogique du conseiller clientèle) et en particulier lors de l’actualisation des données de connaissance client, et inclure cette dimension dans les formations existantes dédiées à la LCB/FT des collaborateurs des entités assujetties ».

La prise en compte de cet enjeu est d’autant plus cruciale que la LCB-FT s’étend. La loi Narcotrafic, qui vient d’être publiée au Journal Officiel (JO), de même que le règlement AMLR, prévu pour entrer en application en 2027, assujettissent davantage de professionnels et posent des règles plus prescriptives… Au risque de susciter encore de l’incompréhension.

(1) Rapport de la présidente du CCSF, « La lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme : quelle réception des obligations règlementaires par les clientèles des institutions financières ? », 06/05/2025