22112024

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« La réforme du courtage est une surtransposition française »


Philippe LoizeletAprès que le Conseil constitutionnel a validé la réforme du courtage, c’est au tour du Conseil d’Etat de se prononcer sur le dispositif. Philippe Loizelet, président de l’ANCDGP à l’origine du recours, explique à Gestion de fortune ses motivations.

 

 

 

  

Nouvelle étape pour le recours de l’Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP) contre la réforme du courtage. En octobre 2022, le Conseil constitutionnel, à l’occasion d’une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par l’association, jugeait la réforme conforme à la Constitution.

C’est maintenant le Conseil d’Etat qui doit statuer sur la loi du 8 avril 2021 relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement. L’ANCDGP, dans son recours pour excès de pouvoir, soutient qu’elle méconnaît les dispositions de la directive sur la distribution d’assurances (DDA). Philippe Loizelet, président de l’ANCDGP, revient sur les raisons du recours et l’argumentaire de l’association.

Pourquoi avoir introduit un recours contre la réforme du courtage ?

Philippe Loizelet : Cette réforme ne répond en rien à ses motivations officielles qui voulaient renforcer la protection des consommateurs et épargnants, notamment vis-à-vis des intermédiaires européens, unifier l’enregistrement de tous les professionnels de l’intermédiation et protéger le courtage de proximité.

Avec l’Orias, il n’y avait qu’un répertoire unique. Maintenant, en sus en doublon, 8 sous-fichiers, 8 codes de déontologie, 8 commissions des sanctions, 8 jurisprudences. De plus, ces textes ne sont pas applicables aux sociétés qui interviennent en libre prestation de service (LPS), aux agents généraux et aux réseaux salariés. Or il s’agit de dispositions soumises au cadre légal et réglementaire européen, visant notamment l’harmonisation du contrôle de tous les intermédiaires en banque et en assurance.

Il s’agit donc bien d’une surtransposition française, créant une antichambre réglementaire superfétatoire. Ainsi, si l’association agréée décide de radier un membre, celui-ci ne peut plus exercer puisque l’adhésion est obligatoire pour l’immatriculation Orias.

La réforme du courtage crée de la fragilité juridique à tous les étages. Les recours contre les associations sont judiciaires et non administratifs, ce qui confirme qu’elles ne disposent pas de pouvoirs délégués de la part de l’ACPR. Or, si l’association n’est pas supposée contrôler les pratiques professionnelles, l’ACPR nous annonce leur confier prochainement la mise en place d’un programme de « vérifications », dans le cadre de leur propre agrément.

Elles seront donc inévitablement chargées de sanctionner le non-respect des programmes de vérifications fixés par l’ACPR, sous leur seule responsabilité, puisque n’ayant pas de délégation pour le contrôle.
La responsabilité de l’ACPR ne saurait être recherchée à ce titre. Le résultat pourrait être coûteux pour les associations en cas de recours. A titre illustratif, la Cour d’appel de Paris, dans l’affaire Hédios contre la CNCGP, a refusé de reconnaître que la CNCGP était délégataire du moindre pouvoir de contrôle de la part de l’AMF. Or, le modèle des associations agréées a été calqué sur celui des associations de CIF.

Après l’échec du Conseil constitutionnel, pourquoi continuer devant le Conseil d’Etat ?

P.L. Nous n’avons pas été déboutés par le Conseil constitutionnel. En effet, nous avions déposé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat assorti d’une QPC suspensive, mais également, à titre subsidiaire, d’une question préjudicielle de constitutionnalité.

Le Conseil constitutionnel a examiné le dossier, reconnu une atteinte aux droits et libertés fondamentales, mais non disproportionnée aux objectifs de la loi. A ce titre, le gouvernement a clairement précisé dans ses écritures que jamais les associations ne seraient chargées directement ou indirectement d’un rôle de contrôle ou de sanctions entravant l’exercice professionnel… Pourtant, on ne peut exercer sans être membre d’une association agréée.

Le Conseil constitutionnel ne vérifie que la constitutionnalité de la loi, pas sa conformité aux textes européen, en l’occurrence à la DDA. Nous voilà donc de retour devant le Conseil d’Etat où nous soutenons que le texte est incompatible avec la DDA qui interdit à toute autorité nationale de contrôle d’être constituée d’associations professionnelles ou de professionnels. Or la tenue du registre unique a été confiée à l’Orias, qui est composé exclusivement d’associations professionnelles.

Quel verdict anticipez-vous et quelle est la prochaine étape ?

P.L. A notre sens, le Conseil d’Etat ne pourrait qu’accorder le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), sauf à considérer que la conformité ou non du texte à la DDA lui semble suffisamment claire pour qu’il tranche par lui-même.
Mais, dès lors, le Conseil d’Etat laisserait aux juridictions judiciaires, les seules compétentes en cas de contestation des décisions des associations, l’opportunité de trancher le sujet en cas de contentieux.

C’est parce que les futurs recours contre les décisions des associations - en termes de contrôles diligentés sur initiatives de l’ACPR- ne sont possibles que judiciairement, que le Conseil d’Etat ne devrait pas pouvoir considérer qu’il est en mesure de trancher définitivement le sujet… Dans le cas contraire, la fragilité juridique du dispositif restera entière et la Cour de cassation devra toujours trancher en cas de recours judiciaire d’un courtier.