22122024

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Marché

Assurance vie : une affaire de prime « manifestement exagérée »


prime assurance vie 410 200L’affaire est assez classique : un couple laisse, aux décès successifs des conjoints, deux enfants et l’un, le fils, découvre que l’autre, la fille, est seule bénéficiaire d’une assurance vie de plus de 86 000 €. Dès lors celui-ci attaque sur le fondement de l’article L. 132-13 du code des assurances remettant en cause les versements présentant un caractère manifestement exagéré.

 

Etrangement, alors que la jurisprudence est claire sur ce sujet (en dernier lieu Cass. 2ème civ., 9 févr. 2022, n°20-18544), voilà une cour d’appel qui va exiger la réintégration de l’épargne acquise sur une assurance vie en estimant que le parent souscripteur (la veuve) « au moment de la souscription du contrat n'a pas de revenus propres lui permettant d'alimenter les versements par des fonds personnels ». Cette décision va être censurée (Cass. civ. 1ère , 2 mai 2024 pourvoi n° 22-14.829).

Il est pourtant de jurisprudence constante que l’appréciation du caractère manifestement exagéré doit être faite eu égard aux facultés du souscripteur, à savoir « au moment du versement, au regard de l'âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l'utilité du contrat pour celui-ci » (1).
L'arrêt d’appel constate que 34 835 € ont versés au moment de la souscription en 2000, puis 22 865 € en 2002 et, enfin, 6 442 € en 2010 alors que les époux n'étaient pas, en 2000, assujettis à l'impôt sur le revenu. La cour en déduit que « l'utilité du contrat n'est pas démontrée ».

Les juges d’appel relèvent, également, que le deuxième versement a eu lieu alors que la fille « venait d'être désignée curatrice de sa mère, que les lettres relatives au contrat d'assurance sur la vie ont été envoyées au domicile de celle-là, que le contrôle du juge des tutelles n'a pu s'exercer cependant qu'il s'agissait d'actes touchant au patrimoine d'un majeur protégé et profitant à son curateur, et qu'aucun curateur ad hoc n'a été désigné ».


Moins de 1000 euros de retraite

On a l’impression que dans cette affaire les juges du fond ont voulu statuer en équité face à une situation qui leur semblait injuste et malsaine au regard du droit successoral alors que, en droit des assurances, ceux-ci devaient prendre en compte l'âge, la situation patrimoniale et familiale de la souscriptrice et l'utilité du contrat pour celle-ci aux dates de leurs versements selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
En l’espèce, le couple percevait certes une toute petite retraite (moins de 1000 € par mois) mais les juges du fond devaient se pencher sur le patrimoine global, à savoir le patrimoine immobilier (sur lequel il n’est pas donné d’information) et les 80 832 € sur les comptes d’épargne lors de la souscription.
Remarquons en outre que l’utilité du contrat semblait évidente compte tenu de la faiblesse de la pension de retraite ; d’ailleurs des rachats trimestriels étaient programmés.


Une question factuelle

Signalons que dans une affaire similaire, une prime globale d'un montant de 228 844,27 € avait été versée en une seule fois alors que le souscripteur ne disposait que d'une retraite modeste, mais il jouissait d'un patrimoine qualifié d' « important » (Cass. 2e civ., 4 juill. 2007, n° 06-14.048). La quotité disponible en droit successoral ne saurait constituer une limite dont la violation caractériserait l'excès manifeste ! Une telle approche est à la fois une erreur de méthode dans l'analyse, car la quotité disponible s'apprécie au jour du décès, alors que l'excès s'apprécie au jour du versement litigieux, mais c'est aussi ignorer le caractère dérogatoire du droit des assurances, qui permet de favoriser un bénéficiaire. Tel est le cas ici, aussi choquant que cela puisse sembler.

Au final notons que le fait d'invoquer le caractère manifestement exagéré d'une prime est rarement couronné de succès ! Mais dans ce dossier la Cour de cassation ne se prononce pas sur cette question factuelle qui relève des juges du fond, elle dit seulement que ceux-ci n’ont pas fait une appréciation correcte.

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(1) Chronique de Marc Thomas-Marotel in Gest.Fort. N° 338 de septembre 2022