22112024

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Assurance vie

Assurance vie : une sanction exemplaire sur un abus de faiblesse par un notaire

La cour de cassation a validé la condamnation pour abus de faiblesse d’un notaire qui avait fait souscrire à une vieille dame hospitalisée des assurances vie au bénéfice de sa propre famille.

Voilà un notaire qui se fait condamner en correctionnel, puis en appel à un an d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 75 000 € du chef d’abus de faiblesse pour avoir fait souscrire à une vieille dame, en janvier 2006, une assurance vie pour 75 000 € à son profit direct ou indirect (par sa fille et ses petits-enfants) ! 

Les juges de fond s’étonnent de cette souscription par une personne « vulnérable à raison de son grand âge et de son hospitalisation au moment de la signature ». Qui plus est, ce notaire, par ailleurs curateur de cette dame, « lui faisait accomplir des actes préjudiciables à ses intérêts, conduisant à la dilapidation de son patrimoine, la prévention visant plusieurs faits et séries de faits distincts ». Le notaire soutenait avoir recueilli une « volonté libre et éclairée de la souscriptrice en faveur de celui qui deviendra son fils adoptif ». Il a contesté jusqu’en cassation.

Premier point, ce notaire se retranche derrière la prescription de 3 ans applicable à ce délit (délai allongé à 6 ans en 2017). La Cour de cassation fixe - et c’est la première fois qu’elle prend position - une règle claire : « en matière d’abus de faiblesse, la prescription ne commence à courir qu’à partir du dernier prélèvement effectué sur le patrimoine de la victime, lorsque l’abus frauduleux procède d’un mode opératoire unique ». Or, la souscription d’un contrat d’assurance vie, effectuée en janvier 2006, et la modification de la clause bénéficiaire, en mars 2012, au profit des petits-enfants du notaire, « procèdent d’une opération unique ». Donc la prescription ne peut pas exonérer ce notaire d’une action pénale.

Deuxième point, ce notaire estime qu’il n’a commis aucun abus. Mais comment croire que cette dame est lucide alors qu’elle « présentait un syndrome de glissement, emportant une perte du goût de vivre, souffrant aussi d’une insuffisance rénale aiguë nécessitant de fréquentes dialyses, et étant également atteinte de problèmes de vue et de difficultés des membres inférieurs, l’empêchant de marcher, sa signature ayant été obtenue dans la clinique où elle se trouvait, malgré l’intervention du médecin gériatre de l’établissement, qui avait essayé de l’empêcher ». Pire on apprend que l’insistance mise par ce notaire et le courtier en assurances à recueillir la signature de la vieille dame a « retardé son transfert par le Samu vers un hôpital où la dégradation de son état de santé imposait de la faire admettre dans un service de réanimation » !

Les juges estiment que cette souscription représentant le quart des actifs bancaires de la vieille dame « était gravement préjudiciable à celle-ci, ses faibles revenus nécessitant de maintenir son patrimoine liquide en vue de régler les dépenses liées à son entretien pendant la fin de sa vie, le capital placé au titre de cette assurance-vie n’étant plus disponible sans pénalité et le seul intérêt lié à cette opération étant de préparer la transmission des fonds aux membres de la famille du prévenu, en franchise de droits de succession ».

L’abus de faiblesse et la condamnation ont été validés. On fera observer que les retraits même les premières années se font pourtant sans pénalité ! Il est étrange d’affirmer que « le seul intérêt » d’une assurance vie pour une personne en fin de vie est de préparer sa succession !

(Arrêt n°1567 du 18 septembre 2019 (18-85.038) - Cour de cassation - Chambre criminelle, voir aussi un arrêt de la même chambre du 20 mars 2019 (18-81.691)

JDE