L'Edito du mois - Septembre 2019

 

L'Edito de Jean-Denis Errard

Rédacteur en chef de Gestion de Fortune
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Liquide

Quand on prononce ce mot « liquide », on pense à l’eau. A H2O aussi maintenant. Voilà une affaire médiatique qui a perturbé les esprits. Oh, certes, Bruno Crastes, le DG de la société londonienne, vedette de la gestion d’actifs pour la brillance de ses performances, a parfaitement communiqué dès que le Financial Times a déclenché la polémique. Ses explications sur son site, dans un Q&A d’une rare précision, m’ont convaincu que cette agitation ressemblait à une tempête dans un verre d’H2O (d’eau). Mais le risque de réputation, avec des rumeurs déformantes, peut déstabiliser et laisser des traces.

Cette affaire est intervenue au moment où la City anglaise découvrait avec stupeur la crise de liquidité provoquée chez Neil Woodford, gestionnaire réputé. Ni la Financial Conduct Authority, ni les auditeurs n’ont fait le job alors que le fonds d’investissement en cause comportait 40 % d’actifs illiquides ! Comme l'a commenté un analyste, cette histoire est « breath-taking » (à couper le soufle). Les errements de Tim Haywood, gérant du hedge fund suisse GAM, sont aussi récents (face à l’hémorragie, ses « absolute return bond funds » se sont vus gelés).

L’explication donnée par Bruno Crastes, tout le monde pouvait l’entendre, à savoir miser sur des actifs décorrélés pour juguler la volatilité de ses fonds et consolider la performance. De plus, cette contribution d’illiquidité était vraiment marginale (avant les retraits de fonds, du moins, provoqués par cette affaire). Mais sur un fonds Ucits, se lier à un même partenaire commercial, contesté, pour jouer sur des obligations privées pouvait laisser songeur. Il faut surtout voir là un signal. Dans ce contexte actuel de récession larvée (c’est l’avertissement que lance cette situation ubuesque de taux négatif sur les marchés), est-il si judicieux de jouer la carte de l’illiquide ? La Bourse fait peur, le monétaire est au tapis, alors il est de bon ton de se jeter sur l’immobilier, la dette privée et le private equity en se disant que ce sont là les seules promesses valables de performance. Certains s’engouffrent généreusement dans ces eldorados (de l’espagnol, el dorado, le doré). Il faut savoir viser le long terme, dit-on au client, si l’on veut espérer protéger son pouvoir d’achat. C’est certain qu’avec l’assurance vie en euros, la belle époque est révolue, la liquidité de ce produit fait perdre de l’argent et cela pourrait être reproché au CGP qui n’aurait pas clairement mis en garde le client. Mais l’illiquidité a aussi un prix ! On a tous en tête l’exemple des SCPI dans les années 90 avec des épargnants qui ont découvert qu’une part de SCPI, tout comme leur maison, ne pouvait pas se revendre d’un claquement de doigt !

La crise de 2008 a été pourtant un signal clair : quand la finance prend peur, la liquidité vaut de l’or. Mais qu’est-ce qui est liquide ? Même l’assurance vie en euros est maintenant sous la coupe d’une suspension en cas de panique. Même le livret A se vit un temps suspendu en mai 68.

N’est-ce pas là l’opportunité pour le conseiller en gestion de patrimoine avisé de faire le point sur cette question clé ?