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L’ESG autour de l’économie bleue reste encore largement impensée

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La troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan, qui s’est ouverte le 9 juin, doit permettre de mobiliser des financements pour préserver les ressources et milieux marins. Mais les initiatives privées ne sont pas encore assez structurées et développées pour combler le fossé entre le nécessaire et l’existant. Panorama d’une finance balbutiante.

 

 

 

 

 

L’économie bleue constitue aujourd’hui un angle mort de la sphère financière, pourtant bien positionnée sur les sujets terrestres. Alors que les forêts font l’objet d’une prise de conscience croissante, la mer demeure à l’écart des grandes mécaniques de l’investissement durable.

Concorde internationale

La sphère publique, elle, commence à s’emparer du sujet. L’accord de Kunming-Montréal, adopté en 2022 dans le cadre de la COP 15 par 190 Etats, fixe un objectif de restauration de 30 % des zones maritimes et côtières dégradées d’ici à 2030 et la mise sous protection d’au moins 30 % de ces zones. Des accords internationaux viennent compléter cette protection, comme le Traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ), ou celui en négociation sur la pollution plastique.

La troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (Unoc-3), qui se tient à Nice du 9 au 13 juin 2025, doit accélérer la mobilisation des acteurs étatiques et privés autour de la préservation des écosystèmes marins. Une « opportunité unique de repositionner ces enjeux au cœur de l’agenda international – et d’y interroger le rôle que peut jouer la finance », soutient Mirova dans un position paper (1).

Espace de convergence

Pour l’affilié de Natixis IM, l’océan représente un « espace de convergence des grands enjeux actuels ». C’est l’une des scènes principales où s’exposent les tensions géopolitiques, comme l’illustre la confrontation franco-britannique sur la pêche professionnelle, ou le pivot américain dans l’espace indopacifique se traduisant par le redéploiement de 60 % de sa marine.

L’océan est également une source de subsistance pour de nombreuses populations mais aussi de richesse : son économie représente 5 % du PIB global, ce qui le positionnerait s’il était un pays comme la septième puissance mondiale, employant 4 % des habitants de la planète bleue. « Cela comprend les ressources halieutiques, issues de la pêche ou de l’aquaculture, les zones côtières, les transports ou l’exploitation minière des fonds marins », énumère Anne-Laurence Roucher, responsable du capital investissement et du capital naturel chez Mirova.

Ruée vers l’eau

Les opportunités d’investissements durables sont donc quasi-illimitées, entre production primaire, culture de protéines alternatives, « aquatechs » (technologies d’optimisation de l’eau douce), entreprises de dépollution et de restauration de zones côtières, « greenshipping » (destiné à réduire l’impact environnemental du transport maritime)…

Les gérants devront cependant être précautionneux dans le paramétrage de leurs critères ESG, notamment en ce qui concerne les exclusions. Ils risqueraient de s’attirer les foudres d’un public français déjà échaudé par les égarements du label ISR, qui, dans son référentiel précédent, laissait les portefeuilles grands ouverts aux entreprises pétro-gazières.

Un sondage publié par le ministère de la Transition écologique à l’ouverture de l’Unoc-3 (2) montre par exemple que l’exploitation minière des fonds marins est identifiée par 9 Français sur 10 comme une menace pour les milieux marins.

Creuser les canaux

Autre problème, peu d’incitations existent pour encourager les investissements : alors que l’océan absorbe près de 25 % des émissions anthropiques de CO2, ce qui en fait l’un des principaux puits de carbone sur terre, rien n’est prévu quant au mécanisme de compensation des crédits carbone.

De même, alors qu’il est le premier réservoir de biodiversité de la planète, les fonds dédiés à cette thématique se comptent sur les doigts d’une main. On peut citer Mirova Sustainable Ocean Fund, Swen Blue Ocean de Swen Capital Partners ou encore le fonds Impact Océan Capital de Go Capital.

Recul scientifique

Le retrait des Etats-Unis sur la question océanique pourrait par ailleurs porter un coup d’estoc au timide développement de ce segment d’investissement. Le projet de budget fédéral pour 2025 prévoit en effet des réductions budgétaires sur plusieurs agences d’observation des milieux marins. « Les coupes envisagées - plus de 70 % sur certains programmes climat – affecteraient directement la disponibilité de données satellites, le suivi des niveaux de la mer ou encore la compréhension de la dynamique océanique », écrit Mirova.

Une réduction des capacités scientifiques qui pose un risque structurel pour l’analyse extra-financière en affaiblissant la chaîne d’analyse sur laquelle repose les indicateurs et outils.

Ces coupes sont d’autant plus problématiques que le mouvement de repli climatosceptique opéré par l’administration Trump se constate aussi sur les accords internationaux concernant l’océan, dont le BBNJ. Une difficulté supplémentaire pour les gérants qui, structurant des produits compatibles avec les cadres internationaux, naviguent dans un environnement réglementaire fragmenté et baignent dans l’incertitude juridique.

L’obligation bleue

A l’aune de l’Unoc-3, les initiatives de Place ou individuelles foisonnent pourtant. Plusieurs acteurs rappellent leur engagement ou partagent leur référentiel. L’institut de la finance durable (IFD) a publié une étude sur les bonnes pratiques et outils de financement de 16 acteurs (3).

En la matière, les possibilités sont nombreuses : prêts, obligations bleues (sur le modèle des green bonds), nouveaux modèles assurantiels, partenariats…

Pour Mirova, les blue bonds constituent un « outil de passage à l’échelle des investissements en faveur des océans » - le marché obligataire étant considéré comme le plus opérationnel – mais restent encore marginaux par rapport aux green bonds : en 2023, ils représentaient moins de 5 Md$ sur les 820 du marché obligataire durable, selon Fitch.

L’un des objectifs de l’Unoc-3 est de mobiliser des financements supplémentaires pour atteindre l’objectif de développement durable n°14 de l’ONU (4). Selon les calculs de l’IFD, sur 147 Md€ d’investissements annuels nécessaires, seuls 21 Md€ sont aujourd’hui mobilisés, dont 4,2 Md€ en provenance du secteur privé. Une goutte d’eau dans l’océan.

(1) « L’heure bleue pour la finance responsable ? Repenser les leviers d’action financière face aux enjeux des océans », juin 2025
(2) Réalisé les 14 et 15 mai 2025 par Toluna – Harris Interactive auprès d’un échantillon représentatif de 1 015 personnes (méthode des quotas).
(3) « Les initiatives de la Place financière de Paris sur la finance bleue »
(4) Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable