GESTION DE FORTUNE - Le Magazine de la Gestion Privée

Exclusif : un entretien avec Nicolas Komilikis, DG d’Amiral Gestion

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« La décennie qui s’ouvre va être plus favorable au stock picking », confie Nicolas Komilikis, DG d’Amiral Gestion, dans un entretien exclusif accordé à Gestion de Fortune

Propos recueillis par Michel Lemosof

En pleine tourmente sanitaire, économique et financière, nous avons demandé à Nicolas Komilikis, directeur général d’Amiral Gestion, son analyse de la situation et les conclusions qu’il en tire sur le plan de la gestion. Le professionnel a répondu en détail, ce qui rend l’ensemble de ses réflexions et prises de position particulièrement intéressant.

Que comprenez-vous de cette crise que personne n’a vu venir ?

Nicolas Komilikis : La crise que nous traversons a été déclenchée par la propagation d’une pandémie qui n’a pas d’équivalent depuis la grippe espagnole, il y a plus d’un siècle. En ce sens, le choc est totalement inédit. D’où la série de tristes records boursiers enregistrés tout au long du mois de mars.

Au-delà de ce déclencheur, unique dans l’histoire économique moderne et de nature exogène au système financier, il faut rappeler que la crise de 2008 est plus comparable à 1929 que celle que nous traversons aujourd’hui. Nous sommes actuellement plutôt dans les années 30, la seule période de l’histoire du siècle dernier où les taux réels ont été maintenus à des niveaux proches de 0 % pendant des années et accompagnés d’une création monétaire massive. La masse monétaire aux Etats-Unis est à cette époque passée de moins de 5 % du PIB à près de 15 %, exactement comme ça été le cas ces dernières années depuis les premières opérations de quantitative easing en 2009. Ce retour historique de la planche à billets sur le devant de la scène trouve ses racines dans la crise déflationniste de 2008, comme ce fut le cas avec la crise de 1929.

La crise de 2008 trouvait son épicentre dans le système financier, qu’il fallait sauver à tout prix pour que les faillites bancaires ne se propagent pas à l’économie réelle. Nous sommes aujourd’hui dans la configuration inverse : il faut sauver les entreprises qui doivent faire face à l’arrêt de leur activité, avec l’aide du système bancaire.

Bien entendu, ces tentatives de comparaison ont leurs limites tant les différences sont nombreuses, mais, si nous observons l’histoire économique à la lumière de la politique monétaire, le parallèle avec les années 30 est intéressant et, certainement, le plus adapté. Contrairement à 2008, nous n’avons plus de marge de manœuvre du côté des taux. Les gouvernements occidentaux vont devoir cette fois-ci se tourner vers l’arme budgétaire et financer leurs déficits en créant encore plus de monnaie. Le mouvement a déjà démarré avec les annonces qui se sont multipliées ces dernières semaines avec, notamment, le plan de soutien de 2 000 Md$ aux États-Unis, qui pourrait être complété par un plan d’investissement dans les infrastructures de 2 000 Md$ supplémentaires. Ces montants donnent le tournis et, si nous ne pouvons pas douter de la puissance de telles mesures, les conséquences à long terme devront être analysées avec discernement.

La réaction des marchés n’a-t-elle pas été trop brutale ?

NK : C’est en grande partie pour les raisons que nous venons d‘évoquer que la réaction des marchés est aussi brutale. Derrière la crise sanitaire se cache un environnement économique où la politique de taux zéro et de rachats systématiques (quantitative easing) des banques centrales alimente la hausse de tous les actifs, écrase les rendements qui convergent uniformément vers zéro et fait progressivement disparaître la rémunération du risque et la volatilité. Mais le risque ne disparaît jamais ! Il est intrinsèque aux sociétés humaines et à l’économie. Plus il a été comprimé, plus il revient en force dès qu’il trouve un espace pour se libérer.

Quel a été le comportement des clients ?

NK : Les rachats sont restés modérés. Nous espérons que c’est un signe de confiance dans notre gestion. Il faut cependant noter que le mouvement a été tellement rapide que les investisseurs n’ont pas eu beaucoup de temps pour réagir. La plupart considèrent certainement que ce n’est plus le moment de vendre, mais, au contraire, de bâtir une stratégie d’investissement pour profiter des baisses de marché et du retour de la volatilité.

Y a-t-il des fonds de votre gamme qui ont résisté au cataclysme ?

NK : Notre fonds flexible Sextant Grand Large nous semble apporter une réponse particulièrement adaptée au contexte actuel dans une optique de moyen terme. Sa stratégie d’allocation fondée sur la valorisation des marchés lui permet de se repondérer en actions dans la baisse des marchés et de saisir les opportunités créées par leur dislocation. Nous avions, avant la crise, une exposition en actions comprise entre 20 % et 25 % du fonds et un niveau de cash de l’ordre de 50 %. Nous avons déjà réinvesti et remonté notre exposition actions à 45 %, en favorisant des sociétés bénéficiant de fondamentaux solides et de bilans sains. Il est plus que jamais important d’éviter les sociétés trop endettées ayant ces dernières années cédé aux sirènes de l’endettement gratuit. Nous disposons toujours de 30 % de liquidités. D’où encore une forte capacité à réinvestir et à saisir les opportunités pour construire les performances de demain. Par ailleurs, si le marché reste fortement volatil, sans pour autant reprendre le chemin de la hausse, Sextant Grande Large en profitera en réinvestissant dans les baisses et en vendant dans les rebonds de marché. Ce qui permettra de générer de la performance même sans le retour d’un mouvement haussier.

Au-delà de Sextant Grand Large, le segment des small et mid caps, qui a déjà fortement corrigé en 2018 et, depuis, sous-performé par rapport à la plupart des autres classes d’actifs, a atteint des niveaux de valorisation que nous jugeons très attractifs dans l’absolu. Dans ce contexte, un fonds comme Sextant PME a aujourd’hui un très bon profil de risque, avec une espérance de performance à moyen et long terme élevée. Bien entendu, ce fonds sera plus volatil que Sextant Grand Large, du fait de son exposition exclusive aux actions.

De façon générale, vers quels segments faudrait-il se tourner ?

NK : Sur les marchés actions, nous avons assisté depuis plusieurs années à une polarisation record des valorisations : Etats-Unis vs reste du monde, croissance vs value, large caps vs small & mid caps. Nous pensons que ce paradigme n’est pas loin d’être à bout de souffle. La crise à l’œuvre, même si elle a une origine exogène, pourrait servir de catalyseur à un changement plus profond. Après tant d’années de surperformance des actions américaines, des grandes valeurs et, surtout, des valeurs de croissance, il peut sembler difficile d’imaginer le monde autrement. Pourtant, l’histoire nous apprend que les conditions de marché se transforment en permanence et que, souvent, la pire option est d’investir dans ce qui a le mieux fonctionné la décennie précédente.

Si nous nous arrêtons sur le cas spécifique du marché américain, qui vient de connaître la plus forte et la plus longue hausse de son histoire, nous devons garder en tête qu’il a bénéficié à la fois de taux réels au plancher et des rachats massifs d’actifs orchestrés par la Réserve fédérale américaine, mais également d’une forte baisse du taux d’imposition des sociétés, d’une vague de rachats d’actions financée par endettement et d’une baisse historique de la part des salaires dans la valeur ajoutée, qui a porté les marges des entreprises à des niveaux records. Tous ces leviers qui ont dopé les actions américaines depuis 10 ans ne sont pas reproductibles et pourraient même, à un moment ou à un autre, jouer en sens inverse.

Pour cela, nous sommes convaincus qu’à moyen et long terme il est préférable de favoriser les actifs les moins bien valorisés aujourd’hui : les actions européennes et émergentes plutôt que les actions américaines, les sociétés de petites et moyennes capitalisations plutôt que les grandes valeurs et, d’une manière générale, les entreprises décotées plutôt que les valeurs de croissance, qui, les premières, ont été les bénéficiaires de la politique de reflation conduite par les banques centrales. Nous sommes aussi convaincus que la décennie qui s’ouvre sera beaucoup plus favorable au stock picking, à l’analyse fondamentale et à la gestion value que ça n’a été le cas dans les années 2010.

Du côté du marché obligataire, la dislocation observée sur le segment des obligations à haut rendement mérite une attention particulière. Même si ce marché peut continuer à souffrir à court terme, le risque a clairement été significativement réintégré dans les prix. Notre fonds Sextant Bond Picking, concentré sur le high yield, est aujourd’hui un portefeuille dont les obligations ont en moyenne un rendement de 10 %, un niveau suffisant selon nous pour couvrir de potentiels défauts et délivrer, malgré tout, une rémunération très confortable aux investisseurs après prise en compte du coût du risque.

Nous pouvons finir sur le cas particulier de l’or, qui pourrait être l’un des grands gagnants du redémarrage en fanfare des plans de rachats d’actifs des banques centrales et de la monétisation des déficits budgétaires. Pour revenir à nos comparaisons historiques, l’or a été l’un des actifs les plus performants des années 1930. C’est pourquoi nous avons investi 5 % de notre fonds Sextant Grand Large dans des valeurs aurifères dont, en outre, les valorisations présentent de fortes décotes avec les cours actuels de l’or.

Quel conseil donner aux épargnants ?

NK : Nous pourrions leur conseiller de profiter de la crise que nous traversons pour réinvestir. Cependant, certains marchés, comme celui des actions américaines, sont encore à des niveaux de valorisation bien supérieurs à la moyenne de long terme, alors que la volatilité va rester élevée et que rien ne garantit que nous soyons proche des points bas. Cela dit, il peut être opportun de réinvestir progressivement dans les prochains mois, ou de déléguer cet exercice un peu délicat à des fonds d’allocation flexible, comme Sextant Grand Large, qui se chargeront de réallouer progressivement les liquidités sur des actifs plus risqués, en fonction des conditions de marché.