Fiscalité

[Tribune] Espagne, Italie ou Suisse : le match fiscal

philippe gosset marie dedoubat

La question de l’exil fiscal se pose pour beaucoup de nos grandes fortunes françaises. L’Espagne, l’Italie et la Suisse se distinguent par des régimes fiscaux particulièrement avantageux, pensés pour attirer les candidats à l’expatriation. Toutefois, transférer sa résidence fiscale hors de France ne s’improvise pas, et les pièges à éviter sont nombreux.

 

 

 

 

Dans un contexte politique très incertain et face à la perspective de nouvelles hausses d’impôts, certains contribuables envisagent de quitter la France. Plusieurs pays voisins n’hésitent pas à dérouler le tapis rouge pour attirer ces profils – parfois très fortunés – grâce à des régimes fiscaux avantageux et un cadre de vie séduisant. L’Italie, l’Espagne et la Suisse se distinguent par des dispositifs singuliers et souvent médiatisés. Attention toutefois à la sortie de route, le chemin vers l’eldorado fiscal n’est pas sans embûche…

L’Espagne et l’Italie : le grand mercato

L’Italie mise sur la « règle CR7 » (le régime du forfait), popularisée par l’arrivée de Cristiano Ronaldo à la Juventus. Le principe est simple : les revenus de source étrangère sont exonérés sous réserve du paiement d’un impôt forfaitaire aujourd’hui fixé à 200.000 € par an. Certains membres de la famille du contribuable - notamment son conjoint et ses enfants - peuvent également bénéficier de l’imposition forfaitaire, auquel cas un forfait annuel supplémentaire de 25.000 € est dû par personne complémentaire.

Ce régime optionnel peut s’appliquer pendant quinze ans au maximum. Il est généralement recommandé de solliciter l’administration fiscale italienne par le biais d’une demande de rescrit, afin d’obtenir confirmation que le régime du forfait peut s’appliquer à la situation propre du contribuable et à ses différents éléments de revenus. Autre atout majeur de ce régime : les actifs financiers et immobiliers situés à l’étranger ne sont pas soumis à l’impôt sur la fortune italien.

En Italie, les retraités étrangers font également l’objet d’un traitement de faveur puisque ceux qui décident de s’installer dans une petite ville de moins de 20 000 habitants située dans les régions du sud de l’Italie (telles que la Calabre, les Pouilles, la Sardaigne et la Sicile) peuvent bénéficier d’une imposition forfaitaire de 7% sur tous leurs revenus de source étrangère.

L’Espagne, de son côté, propose le régime « Beckham », adopté lors de l’arrivée du footballeur britannique au Real Madrid. Ce statut, ouvert aux personnes s’installant en Espagne pour des raisons professionnelles, permet une imposition des revenus du travail de source mondiale à un taux avantageux de 24 % jusqu’à 600.000 €, puis 47 % au-delà. Les autres revenus de source étrangère - dividendes, intérêts ou plus-values - sont quant à eux totalement exonérés. Ce dispositif peut s’appliquer pendant six ans. A l’instar de ce qui est prévu en Italie, les bénéficiaires du régime Beckham ne sont pas imposés à l’impôt sur la fortune espagnol sur leurs actifs financiers et immobiliers situés à l’étranger.

En matière de transmission de patrimoine, l’Italie fait figure de véritable paradis fiscal lorsqu’on arrive de France. Les droits y sont en effet très réduits : 4 % pour une transmission entre époux ou en ligne directe, après application d’un abattement d’un million d’euros et 6 % entre frères et sœurs, après un abattement de 100 000 euros. La dolce vita. L’Espagne, en revanche, n’est pas particulièrement connue pour son attractivité en la matière.

La Suisse : la carte de l’originalité

En Suisse, les impôts sont prélevés aux niveaux fédéral, cantonal et communal.

Par exemple, seuls les cantons et les communes perçoivent les droits de donation et de succession. Or le choix du canton a son importance puisque certains, comme celui de Schwyz, ont tout simplement choisi de ne pas prélever d’impôt en la matière. Un impôt sur la fortune est également dû, à un taux progressif qui diffère selon les cantons et les communes, étant précisé que la fortune immobilière étrangère est exonérée.

Mais c’est avant tout par le concept d’imposition « d’après la dépense » que la Suisse se démarque de ses voisins. En effet, les ressortissants étrangers peuvent choisir - sous certaines conditions - d’être taxés non pas sur leurs revenus ou leur patrimoine, mais sur le montant de leurs dépenses. Le montant déclaré ne peut pas descendre en dessous de certains minimums légaux et un mécanisme de contrôle est prévu pour éviter les abus.

Les pièges à éviter

Le transfert de résidence fiscale à l’étranger nécessite une préparation rigoureuse. Au-delà du choix du pays d’expatriation, il est vivement conseillé au contribuable de s’assurer qu’il sera bien considéré comme non-résident fiscal au regard de la législation fiscale française et de la convention fiscale liant la France au pays d’expatriation. Les candidats au départ devront également anticiper l’assujettissement à l’exit tax en France, qui comporte un certain nombre de zones d’ombre. La doctrine publiée de l’administration fiscale mériterait à cet égard une mise à jour, puisqu’elle n’a pas été actualisée depuis plus d’une dizaine d’années en dépit des nombreuses réformes qui ont impacté ce dispositif.

Il est également important de garder à l’esprit que les non-résidents restent imposables en France sur leurs revenus de source française et sur leurs biens immobiliers situés dans l’Hexagone. Les conventions fiscales internationales conclues par la France permettent d’éviter les doubles impositions, mais le bénéfice de ces conventions peut faire l’objet de discussions lorsque le contribuable bénéficie localement d’un régime fiscal dérogatoire du droit commun.

En définitive, choisir sa résidence fiscale en Europe ne se résume pas à sélectionner le pays le plus attractif sur le papier. Chaque situation mérite une analyse précise et personnalisée. L’Espagne, l’Italie et la Suisse offrent des opportunités séduisantes, mais une planification rigoureuse reste indispensable pour éviter les écueils et profiter pleinement des avantages offerts par ces pays.