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Assurance vie : des nuages sur la désignation par testament des bénéficiaires des contrats

La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt récent en date du 18 avril 2018, vient de jeter le trouble sur la désignation par testament du bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie.

Analyse rédigée en août 2018 par Jean-François Lucq, responsable de l'ingénierie patrimoniale chez Banque Richelieu

Jusqu’en 2007, la désignation par testament du bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie était vivement encouragée par les praticiens, notamment au regard du fait que si le bénéficiaire désigné venait à connaître l’existence du contrat, il pouvait, en notifiant par avance son acceptation à la compagnie, paralyser le droit au rachat, ou à une modification du bénéficiaire, par le souscripteur.

Depuis 2007, la seule acceptation du bénéficiaire ne suffit plus, puisqu’elle doit être complétée par l’acceptation par le souscripteur de l’acceptation du bénéficiaire pour produire des effets de plein droit. Néanmoins, les désignations testamentaires restaient toujours possibles, et pratiquées par un grand nombre de souscripteurs.

Les circonstances de l’affaire jugée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence sont assez singulières : une grand-mère avait été victime d’un accident, et la compagnie d’assurances lui avait versé un capital, capital dont elle n’avait pu profiter, car elle était décédée entre-temps. Le grand-père, son mari, avait utilisé au moins une fraction de ces capitaux pour souscrire un nouveau contrat d’assurance vie ; il avait renvoyé le bénéfice du contrat à un testament déposé chez un notaire, dans lequel il désignait d’autres personnes que des descendants en ligne directe.

Au dénouement du contrat, des petits-enfants mécontents ont échoué devant le TGI à faire requalifier ce contrat d’assurance vie en legs de droit commun, mais ils y sont parvenus devant la cour d’appel. Celle-ci considère que le fait de renvoyer la désignation bénéficiaire à un testament, mais aussi le fait de préciser qu’en l’absence de testament, les bénéficiaires seront « ses héritiers », révèlent le lien entre capital d’assurance vie et succession. La cour d’appel écarte l’article L. 132-13 du Code des assurances, et réintègre le capital dans la succession de droit commun !

Le fait que le grand-père ait utilisé des fonds qui étaient en réalité des fonds de la succession pour souscrire le nouveau contrat a sans aucun doute joué un rôle dans la décision de la cour d’appel. Mais le fait de ne pas y faire référence, et de se placer sur le seul motif de la désignation testamentaire semble critiquable.

Pour les souscripteurs ayant procédé à de telles désignations, le retour « classique » à une transmission de la clause bénéficiaire à la compagnie d’assurances, avec le concours de leur conseil habituel (courtier, agent général, banquier…) pour la rédaction appropriée s’impose logiquement comme mesure de prudence, en attendant une décision de principe de la Cour de cassation, après un (vraisemblable) pourvoi des bénéficiaires désignés par le testament.