Marché

[Tribune] Et si vos cryptoactifs finançaient vos projets ?

Stéphane Némarq Attias et Cyril Armange

Détenir des cryptoactifs ne suffit plus : l’enjeu est désormais de pouvoir les mobiliser pour financer des projets concrets. Grâce à l’évolution récente du cadre juridique, le crédit lombard s’ouvre aux actifs numériques, permettant de les nantir pour obtenir un financement sans les céder. Une avancée majeure qui ancre un peu plus la finance digitale dans l’économie réelle.

 

 

 

 

 

Investir dans les cryptoactifs n’a plus rien de marginal. Selon une étude Adan–KPMG, plus de 10 % des Français détiennent aujourd’hui des actifs numériques. Longtemps perçus comme un placement spéculatif ou une diversification patrimoniale, ces investissements entrent dans une nouvelle phase : celle de l’intégration dans l’économie réelle.

Mais vient toujours le moment où l’investisseur souhaite donner une réalité tangible à son capital numérique : acquérir un bien immobilier, financer les études de ses enfants ou concrétiser un projet personnel. Jusqu’ici, une seule option s’offrait à lui : céder ses actifs, au risque de renoncer à leur potentiel de valorisation.

Le monde bancaire avait depuis longtemps trouvé la parade à ce dilemme : le crédit lombard, qui permet d’obtenir un prêt en nantissant un portefeuille de titres financiers sans en céder la propriété. Cette logique s’étend désormais aux actifs numériques.

Avec la loi DDADUE 5 (1) et l’ordonnance du 8 mai, le nantissement des cryptoactifs devient juridiquement possible. Concrètement, bitcoins, ethers ou stablecoins peuvent désormais être donnés en garantie d’un crédit bancaire. Une avancée discrète en apparence, mais majeure dans ses implications : faire entrer l’économie crypto dans le champ des usages bancaires courants.

Des opportunités réelles, mais des garde-fous nécessaires

Cette innovation ouvre la voie à de nouvelles formes de financement, mais elle impose aussi une rigueur accrue : 

• Volatilité et ratios prudentiels : la valeur des garanties devra être actualisée en permanence pour protéger la solidité du prêteur

• Appels de marge : en cas de baisse significative du marché, l’emprunteur devra compléter ses sûretés afin d’éviter la déchéance du crédit

• Sélection des actifs éligibles : seules les cryptomonnaies les plus liquides et les plus transparentes devraient être retenues

Sur le plan fiscal, la prudence reste de mise. Le nantissement, n’impliquant pas de cession, n’entraîne en principe aucune imposition immédiate des plus-values latentes. Mais l’administration pourrait, dans certains cas, requalifier l’opération en cession déguisée si son objectif, exclusif ou principal, était fiscal.

La rédaction du contrat devra donc être irréprochable : durée, modalités de gestion, absence de dépossession effective... autant de paramètres qui nécessite un accompagnement juridique et fiscal précis.

Vers la convergence des mondes

Le signal est fort : le législateur acte que les cryptoactifs peuvent devenir un levier de financement plutôt qu’un simple objet spéculatif. Ce mouvement rapproche deux univers longtemps perçus comme antagonistes : la finance traditionnelle et les cryptoactifs.

Pour les banques les plus innovantes, cette évolution représente une opportunité stratégique : celle d’inventer une nouvelle génération de services patrimoniaux et de crédit, conciliant liquidité immédiate et potentiel de valorisation futur. Pour les investisseurs, c’est la promesse d’une diversification plus fluide, plus intégrée et plus conforme à leurs usages numériques.

Le nantissement des cryptoactifs marque une étape décisive dans la maturité du marché. Il ne s’agit plus seulement de détenir ou de spéculer, mais de mobiliser ces actifs pour financer l’économie réelle. Un signe supplémentaire que la frontière entre la finance classique et la finance digitale s’efface peu à peu - au profit d’une économie plus ouverte, plus connectée et, peut-être, plus intelligente.

(1) Loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne n° 2025-391 du 30 avril 2025