Les banques privées, qui se recentrent sur une clientèle fortunée, ignorent les mass affluent qui représentent pourtant près de deux millions de ménages en France et 50% du patrimoine financier national. Des prospects privilégiés pour les plateformes digitales de l'épargne.
Face à l’effet concomitant de la concentration des richesses et des mutations technologiques de l’industrie bancaire, le monde de la gestion de fortune connaît des évolutions majeures depuis plusieurs années.
La banque privée toujours plus élitiste
La forte progression des grandes fortunes familiales, combinée à l’émergence de jeunes millionnaires issus de la tech, suffirait presque au bonheur des grands noms de la banque privée suisse et anglo-saxonne. Chaque année, plusieurs milliards d’euros de dividendes sont versés et réinvestis sur les marchés financiers ou dans des actifs réels, dans une logique de diversification patrimoniale.
Face à ce potentiel, les banques privées privilégient la captation d’une partie de cette manne, beaucoup plus rentable que la chasse au menu fretin, même doté de quelques millions d’euros de patrimoine. Ainsi, le seuil d'acceptation de nouveaux clients par les banques privées est régulièrement relevé : 10 millions d’euros d’actifs financiers pour certaines d’entre elles – quand les clients moins fortunés sont poliment reconduits vers la sortie.
La banque de détail en restructuration
De leur côté, les banques de détail conduisent à marche forcée le redimensionnement de leurs réseaux d’agences. En France, plus de 3 000 agences ont fermé en cinq ans, un rythme qui devrait encore s’accélérer d’ici 2030. L’injonction de réduction des coûts pousse les transactions en dehors du réseau physique sur des plateformes de banque en ligne.
De moins en moins nombreux, les conseillers bancaires doivent être polyvalents et capables de proposer à leurs clients un spectre de produits toujours plus large : des moyens de paiement, du crédit, de l’assurance, des produits d’épargne… Un modèle de masse qui se fait presque inévitablement au détriment du conseil individualisé.
Les mass affluents, cibles de nouveaux acteurs
Entre les deux se trouvent les mass affluents, ces clients disposant d’un patrimoine financier compris entre cent mille et un million d’euros. Ils représentent près de deux millions de ménages en France et près de 50% du patrimoine financier national. Pas assez riches pour intéresser les banques privées, ils ont néanmoins des problématiques patrimoniales (recherche de performance et de diversification, efficacité fiscale, succession…) qui nécessitent l’accompagnement de spécialistes. Ce segment de clientèle est la cible privilégiée des CGP, une profession qui se structure rapidement autour de quelques leaders qui consolident le marché.
C’est également à ces mass affluent, souvent parmi les plus jeunes, que s’adressent les plateformes digitales spécialisées dans l’épargne et l’investissement. Elles s’étaient distinguées par des parcours clients simples et 100 % digitaux ainsi que par une tarification avantageuse. Ces derniers mois, certaines d’entre elles ont étoffé leurs offres avec des produits traditionnellement réservés aux plus fortunés, tels que des produits structurés ou des offres de private equity, tout en développant un modèle hybride dit “phygital”, avec des conseillers patrimoniaux disponibles pour accompagner les clients qui le souhaitent.
La part de marché et la notoriété de ces plateformes sont certes encore modestes, et leurs coûts d’acquisition clients demeurent élevés. Il devient néanmoins urgent pour les acteurs traditionnels de la bancassurance de revisiter leur stratégie pour servir les mass affluents.
Sans modèle de distribution efficace pour les servir, ils risquent de voir filer cette clientèle, pourtant indispensable pour rentabiliser les infrastructures de leurs réseaux. Comme souvent dans l’industrie financière, la solution se trouve plus vraisemblablement dans la collaboration entre les acteurs en place et les nouveaux entrants que dans une concurrence frontale.